XXX- La proposition des Enfers

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Angélique


Nous nous précipitons dehors et sommes atterrés par le spectacle qui se dévoile à nous. Un énorme serpent enroule ses immenses anneaux autour de la barrière protectrice encerclant le Sanctuaire. Je sens aussitôt quelque chose rugir en moi.

Sans que je ne maîtrise rien, une puissante vague bleutée quitte mon corps pour aller soutenir la barrière déjà endommagée par les assauts répétés de celui qui ne peut être que Jormungand.

L'immense bête recouverte d'écailles plus sombres que la nuit dont seuls quelques reflets bleu-violet tentent vainement d'égayer la danse se meut doucement, sachant pertinemment qu'il nous tient entre ses crocs. Seule une toute petite fente permet encore à la lumière de filtrer à l'intérieur du Sanctuaire.

Les animaux ont disparu, effrayés par ce manque soudain et inattendu de soleil autant que par cet immense serpent.

Ce petit manège dure plusieurs minutes avant que la bête ne se décide enfin à regagner le sol. Sa silhouette semble alors se tordre et s'effacer pour laisser la place à un élégant jeune homme de taille moyenne, la peau pâle et les yeux brillants de tous les verts de la création. Ses fins cheveux blancs dessinent ses pommettes saillantes et font ressortir le sourire enjôleur qui fleurit sur ses lèvres fines.

Je ressens le même mélange de sensations étranges que lors de mon premier face-à-face avec Fenris. Il émane de cet être une effrayante attractivité, une beauté farouche et dangereuse. Mais cette fois, je ne me laisserai pas charmer. Je suis ici chez moi, cet être est un intrus, tout mon être me l'assure. Aucun pacte ne le lie à l'un de mes alliés. Lui, il est là pour prendre ce qui lui plaira et laisser le reste en cendres fumantes. Je lis cela dans son regard tout comme je le lisais dans le regard de Fenris la veille au soir lorsqu'il parlait de sa vengeance.

Derrière lui, des milliers de démons se rassemblent, petits, grands, maigrelets, épais, monstrueux et beaux à couper le souffle. Tous sont armés et prêts à prendre d'assaut le Sanctuaire à la moindre défaillance de la barrière.

A mes côtés, les deux immortels sont tendus à se rompre, parés au combat, leurs ailes largement déployées dans leur dos et, pour Gaby, l'arme prête à jaillir de son fourreau. Mais si l'ange parait simplement aux aguets et prêt à parer à toute éventualité, Fenris, lui, parait plus concerné, plus empli d'une colère froide à l'encontre de son jeune frère. Enfin, jeune, il doit bien avoir quatre-vingt-dix balais, mais bon, il parait jeune.

Le démon aux cheveux blancs prend alors la parole d'une voix douce qui parvient tout de même à porter jusqu'à nous.

- Je vous présente mes hommages. Je suis Jormungand, fils héritier du trône des Enfers et maître des morts.

Fenris semble donner tout ce qu'il a pour ne pas sauter à la gorge de ce frère qui vient publiquement de lui voler son titre et ses droits. Je comprends que ça ne fasse pas plaisir, mais il a perdu tout cela il y a bien longtemps déjà.

- Je viens de la part des souverains infernaux, continu le démon, pour proposer à la Fille de la Terre un contrat avantageux.

- Va au diable... murmure Gabriel à mes côtés.

Oui, bon, c'est peut-être un peu faible comme réplique étant donné ce qu'il est et qui est son maître, mais c'est en substance ce qui me venait à l'esprit...

Il affiche alors un sourire semblable à ceux que nous sert Fenris lorsqu'il commence à tisser la toile qui lui servira à atteindre ses objectifs.

- Mademoiselle, ce pacte qui vous liera à nous à jamais vous permettra de jouir de la vie éternelle ainsi que de l'accès illimité à la surface. Notre seule demande est que vous passiez votre éternité à nous servir dans la limite de vos capacités.

Je garde le silence, trouvant peu utile de gâcher ma salive pour ce démarcheur. Il doit mal prendre mon refus de lui adresser la parole car il me lance un regard sévère.

- Mademoiselle, que pensez-vous gagner à rejoindre les assassins de vos aïeules ?

Voyant que sa pique n'a aucun effet, il repart à la charge.

- Les Enfers sont un endroit parfait pour quelqu'un d'aussi puissant et ivre de liberté que vous semblez l'être. L'Eden n'est que l'antichambre de la mort pour les gens tels que vous. Vous êtes bien trop unique, bien trop précieuse pour vous condamner à obéir aveuglément aux commandements d'un vieillard sénile.

J'entends le métal d'une épée tirée hors de son fourreau à côté de moi. Gaby lutte contre lui-même pour ne pas déclencher les hostilités en décapitant purement et simplement cet énergumène. Je tourne de nouveau la tête vers cet être étrange et démoniaque avant de finalement prendre la parole d'une voix sereine.

- Il me semble que le pacte que vous me proposez répond à quelques choses prêts à la description que vous me faites de la servitude au sein de l'Eden. La seule différence notable étant que je n'obéirai pas à un seul être, mais à un couple de démons.

Il sourit, fier de m'avoir arraché quelques mots.

- En effet. Seulement, je puis vous garantir que votre liberté sera bien plus grande sous notre toit que sous celui de ces illuminés, me relance-t-il en désignant vaguement de la main Gabriel.

Je souris malicieusement.

- Et je puis vous garantir, pour ma part, que ma liberté ne sera jamais aussi totale que si je décidais de rester dans ce Sanctuaire.

A mon grand étonnement, Jormungand éclate d'un rire amusé et joyeux. Ces démons... incompréhensibles.

- Fenris, mon frère, je vois que tu as le chic pour pousser les Filles de la Terre au suicide !

Cette fois, je dois arrêter Fenris de mon bras pour éviter que la provocation ne fasse mouche et ne déclenche l'apocalypse.

- Quoi qu'il en soit, continu le démon pâle, nous sommes disposés à vous laisser jusqu'à l'aube pour vous décider. Après quoi, nous entrerons par la force et ne vous proposerons plus aucun pacte. Vous nous appartiendrez corps et âme pour l'éternité sans jamais revoir la lumière du jour.

Il penche la tête sur le côté et sourit joyeusement.

- Puissiez-vous faire un choix judicieux, très chère, lance-t-il à la cantonade avant de retourner auprès de ses troupes.

Je reste un instant figée par ses mots. Ce que ces êtres me proposent ne ressemble guère à un choix. Au bout de quelques minutes à fixer l'endroit où a disparu le démon reptilien, je regagne rageusement la maisonnette, laissant là les deux immortels qui semblent déterminés à se battre jusqu'au bout.

Un choix. Je dois faire un choix. Pourquoi maintenant ? Pourquoi si tôt ? Je ne sais ce que je suis que depuis une petite semaine et déjà je dois définir quel camp je me destine à servir pour le restant de mes jours. Je claque la porte de ma chambre et m'effondre sur le lit avant de hurler ma rage dans l'oreiller. Un choix. Je dois faire un choix.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant