XII- Quand est-ce qu'on part ?

608 90 19
                                    

(pdv d'Angélique)


Ce qu'il me dit n'a absolument aucun sens. J'essaye pourtant de faire comme si ses paroles étaient crédibles, mais comment faire ? Je veux dire, j'ai bien vu que mon ami de toujours s'est brutalement métamorphosé en une créature mythique, mais il a toujours été différent des autres, plus posé, plus détaché, plus serein... Mais qu'il vienne me dire que moi je suis importante pour la survie de la Création ? C'est quand même du grand n'importe quoi ! Et qu'a voulu dire l'autre, Fenris si j'ai bien saisi, en parlant de "tout me dire" ? M'annoncer que je suis une sorte de premier prix dans une guerre millénaire entre des créatures censées ne pas exister n'est donc pas suffisant ?

Le démon se détourne brusquement de la petite scène un brin mélodramatique qui se joue dans mon salon pour regarder attentivement par la baie vitrée, fixant un point derrière les rideaux. Je suis son regard mais ne distingue rien de plus que les buissons du jardin paysager. Gabriel semble lui aussi capter un potentiel danger au dehors mais ne bouge pas, essayant probablement de m'empêcher de paniquer. Manqué. Le silence s'installe dans la maison, chacun essayant de décrypter ce qui se passe derrière la vitre. "Fenris" se lève soudain d'un bond et se jette sur moi. Je n'ai pas le temps de faire quoi que ce soit si ce n'est de rouler sur le sol, alors qu'un bruit de verre qui explose retentit dans la pièce.

Aussitôt, Gabriel dégaine la grande épée scintillante qui était jusqu'alors gentiment rangée dans son fourreau et la pointe vers l'origine du danger sans une once de peur. Le démon, quant à lui, se contente de se relever sans m'offrir son aide et de nettoyer rapidement la poussière sur ses vêtements. De mon côté, j'ose un coup d'œil de derrière le sofa renversé et sens immédiatement la panique monter en moi.

Des dizaines de créatures semblables à celle qui m'a attaquée l'autre soir sont alignées sur le pas de la baie vitrée, semblant attendre des ordres qui ne viennent pas. Ils paraissent étonnés de se trouver face à ce mystérieux "Fenris" qui époussette nonchalamment sa veste sans leur faire le moindre signe ni même leur lancer un regard.

- Fenris, au lieu de te préoccuper de ton apparence, peut-être pourrais-tu honorer notre contrat ?

Le démon ne bouge pas d'un pouce et s'adosse le plus calmement du monde contre le mur derrière lui avant de répondre d'une voix assurée et amusée (comme d'habitude j'ai envie de dire) :

- Tu sais, mon rôle à moi, c'est de protéger la fille et de buter mes cadets, pas de te protéger toi. A la limite, je peux éventuellement essayer de les empêcher de te sauter dessus tous en même temps, mais pour ce qui est de la bagarre, débrouille-toi tout seul.

Mais c'est qui ce type ? C'est quoi cette histoire de contrat ? J'en ai marre de ne rien comprendre ! 

Soudain, sans crier gare, la nuée de monstres se précipite sur Gabriel qui les pourfend les uns après les autres. Fenris se contente d'admirer le spectacle en me jetant parfois un coup d'oeil histoire de voir si je ne me suis pas pris un coup dans le feu de l'action, mais il ne lève pas le petit doigt pour mon ami. Pourtant, j'ai la nette impression que plus Gaby tue d'ennemis, plus il en arrive, si bien qu'il finit par être débordé. Fenris ne bouge toujours pas, gardant sa posture désinvolte, bras croisés et semblant s'ennuyer ferme.

- Mais pourquoi ne l'aides-tu pas, bon sang !

Il tourne la tête vers moi et m'explique d'une voix calme :

- Je l'ai déjà dit, ce n'est pas dans mon contrat. Et puis, c'est quand même plus amusant à regarder qu'à vivre, non ?

Comme pour souligner ses propos, Gabriel lâche un grognement de douleur alors qu'un des monstres lui mord férocement l'avant-bras.

- Ah, ça va bientôt être à moi. Vous devriez reculer, très chère, dit alors Fenris d'un ton détaché. Et, si vous avez l'âme sensible, ce qui me semble être le cas, vous feriez mieux de fermer les yeux un instant.

Mais de quoi il parle cet illuminé ?! C'est alors que l'un de nos assaillants échappe par malheur à la lame toujours aussi dévastatrice de Gabriel et fonce à toute allure vers moi. En un clin d'oeil, Fenris se place entre le monstre et moi, n'esquissant pas le moindre geste. Pourtant, la créature s'arrête net, comme stoppée par un mur invisible. Elle se recroqueville sur elle-même en hurlant de douleur alors qu'elle ne semble pas blessée et même plutôt parfaitement en forme pour tuer tout ce qui se dressera en travers de sa route. Cependant, un regard de Fenris et le monstre hurle à la mort. Le démon aux yeux d'or s'approche alors à pas comptés de la créature réduite à un tas de chair hurlant et tend la main pour la poser là où devrait battre le coeur de l'assaillant. La créature ne peut pas bouger, immobilisée par la douleur, les yeux révulsés et le corps secoué de spasmes. Fenris replie les doigts. Le coeur du monstre sort de sa poitrine pour arriver directement dans la main du démon brun. La créature est secouée de soubresauts, puis c'est finit. Fenris regarde le coeur de sa victime se consumer dans sa main avant de lâcher négligemment les cendres restantes sur le tapis couvert de sang noir et visqueux.

Il se retourne vers moi, tout sourire, l'air satisfait de son "oeuvre" tandis que Gabriel achève le dernier démon. L'odeur du charnier me soulève l'estomac. Mon salon sent désormais le sang, la cendre, la sueur, la peur et les tripes. Je vais encore vomir. Le démon s'approche et pose sa main encore couverte de sang sur mon épaule.

- Je t'avais dit de fermer les yeux, petite fille.

- Cesse de la tourmenter, Fenris, elle en a déjà assez vu pour aujourd'hui, dit alors Gaby en rengainant son arme qui n'a bizarrement pas été tâchée par la moindre goutte de sang. Nous ne devons pas rester ici. Le Sanctuaire est encore loin et ce ne sont certainement pas les derniers soldats démoniaques qui croiseront notre route "par hasard".

- Le Sanctuaire ? Quel Sanctuaire ? Où est-ce que vous m'emmenez ?

Fenris lève les yeux au ciel.

- Si je t'ennuie, démon, tu n'avais qu'à laisser ce monstre me tuer.

Il ne m'accorde pas un regard alors qu'il me répond d'un ton égal :

- J'aurais peut-être dû, ça nous aurait fait gagner pas mal de temps, mais vois-tu, si ton cas ne m'intéresse pas des masses, le retour de mon immortalité m'importe au plus haut point. Ne prend pas ça personnellement, mais je t'assure qu'une fois mon contrat arrivé à son terme, tu pourras mourir en hurlant de douleur que je m'en foutrai complètement. Sur ce et maintenant que tout est dit, en route, j'ai hâte d'arriver.

C'est la première fois qu'il parle autant, et il est toujours aussi désagréable...

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant