2. Un glaçon dans mon salon

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J'ai toujours adoré la neige.

Recouverte par un épais manteau blanc, la ville devient le terrain de jeu idéal pour d'épiques batailles de boules de neige, de longues parties de luge, ou des concours de bonhommes de neige...

Malheureusement, les premiers flocons correspondent également à la fin du premier trimestre. Et qui dit fin de trimestre dit bulletin de notes.

C'est là que trop souvent mes ennuis commencent...

Lorsque je vis les oreilles de mon père devenir toutes rouges dès qu'il posa les yeux sur mon bulletin, ce qui est un très mauvais signe, j'adoptai immédiatement une attitude soumise et honteuse, tête baissée et mains derrière le dos. J'ai vu un reportage qui expliquait que chez beaucoup d'animaux, comme les loups par exemple, il est utile pour sa survie de faire profil bas quand le mâle dominant est en colère. Bon, d'accord, mon père n'est pas un loup. Mais ça peut marcher, non ?

Dix secondes s'écoulèrent. Dix longues secondes pendant lesquelles les oreilles décollées de mon cher papa devinrent de plus en plus écarlates. J'étais presque étonné qu'il n'en sorte pas de la fumée tant mon père semblait bouillir. Puis, il leva les yeux. La bataille pouvait commencer.

— Alphonse Dupin? gronda-t-il, les dents serrées.

— Oui ? répondis-je d'une voix parfaitement maîtrisée (du moins je l'espérais).

Tous les parents du monde choisissent avec soin et amour le prénom de leur enfant. Mais j'aurais aimé que les miens mettent un peu plus de soin et un peu moins d'amour, et me donnent un prénom plus passe-partout que celui de mon arrière grand-oncle Alphonse... Vous voyez ce que je veux dire ?

Les yeux bruns de mon père étincelèrent derrière ses lunettes carrées tandis qu'il contractait sa mâchoire. Tout compte fait, il ressemblait à un loup...

— Sais-tu ce qu'a écrit ton professeur principal à ton sujet ?

Je m'efforçai d'afficher sur mon visage une expression d'intérêt poli.

— Elle écrit, tonna mon père, que tu passes plus de temps à faire le pitre qu'à travailler sérieusement, et que tes résultats en sont considérablement affectés ! Qu'as-tu à dire pour ta défense ?

La réponse était évidente.

— Madame Martin n'a jamais eu beaucoup d'humour...

Je sais, je ne devrais pas le provoquer ainsi. Mais c'est plus fort que moi. Parfois, j'ai l'impression que les mots sortent tous seuls de ma bouche.

Mon père soupira avec lassitude et passa une main dans ses courts cheveux bruns, bien mieux peignés que les miens. Cela faisait longtemps qu'il avait renoncé à combattre mon insolence.

— Al, tu vas bientôt entrer au lycée. As-tu songé à ton avenir ?

Cette fois-ci, je levai les yeux vers lui. Il faisait une tête de plus que moi. Curieusement, son visage affichait plus d'inquiétude que de colère. Je remarquai pour la première fois les rides qui marquaient son large front. La réplique cinglante que j'avais préparée resta bloquée dans ma gorge, et je restai debout comme un idiot, les bras ballants.

Mon père me tapota l'épaule.

— Al, c'est pour toi que tu travailles. Pas pour nous.

Il s'éloigna à grands pas vers la cuisine, me laissant seul au milieu du salon. En remontant dans ma chambre, je jetai un petit coup d'œil vers le miroir de l'entrée. Comme toujours, mes cheveux bruns étaient en bataille, ce qui me donnait « mauvais genre » d'après ma grand-mère, et « l'air plutôt cool » d'après moi. Mes yeux couleur noisette étincelaient au milieu de mon visage aux traits encore enfantins. J'avais tout le temps de réfléchir à mon avenir. En attendant, la remise du bulletin à mon père ne s'était pas trop mal passée ! Je pouvais maintenant aller m'amuser...

Le mage rouge. Le roman de l'Apô-ny, tome 1 (histoire terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant