45. Ma vie se met à ressembler à une pièce de théâtre

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Le Mage Rouge faisait les cent pas dans son bureau, les mains derrière le dos, le visage fermé et tourné vers le sol. Son long manteau virevoltait derrière lui.

Il avait l'air profondément agité.

Adossé contre un mur, le lutin-en-chef regardait son va-et-vient sans rien dire. Il soutenait galamment la cuisinière victime, madame Psils, à moins qu'il ne tente plutôt de la retenir pour ne pas qu'elle m'assomme à coup de poings.

Autant dire que je n'en menais pas large. Après la profonde agitation qui avait régné dans la cuisine, seule l'intervention du lutin avait empêché la foule de se jeter sur moi. Évitant curieusement mon regard, il m'avait entraîné dans le bureau du Mage Rouge, suivi de près par la cuisinière qui voulait s'assurer que je reçoive une punition exemplaire. Nous avions interrompu la conversation entre les deux Grands Mages, et j'étais désormais debout au milieu du bureau, attendant que quelqu'un m'adresse la parole. Mais le Mage Rouge semblait emmuré dans un profond silence que personne n'osait rompre.

Je contemplais donc la pointe de mes chaussures, prêt à clamer mon innocence.

Me sentant observé, je levai soudain la tête et croisai le regard du Grand Mage de Daïde. Il se tenait assis près de la large fenêtre et me regardait avec un air amusé.

J'étais outré ! On venait de m'accuser (à tort, je tiens à le préciser au cas où vous auriez un doute) d'avoir agressé quelqu'un, et tout ce qu'il trouvait à faire était de se moquer de moi !

Mon regard excédé parut le décider à rompre le silence, faisant sursauter tout le monde.

— Pardonnez mon indiscrétion, susurra-t-il en tapotant tranquillement les bras de son fauteuil, mais je crois que nous avons des sujets plus graves à traiter qu'un gamin à la moralité douteuse ne maîtrisant pas ses actes. Ce jeune coq n'a pas l'air bien dangereux, et Pilou peut régler seul cette affaire sans importance...

En plus il me traitait comme un vulgaire délinquant !

Le Grand Mage vêtu de bleu soutint mon regard furieux sans se départir de son petit sourire méprisant. J'ouvris la bouche pour répliquer quand le Mage Rouge cessa de marcher pour se tourner vers son collègue. Il n'éleva pas la voix (jamais je ne l'avais entendu le faire) mais toute sa colère se fit clairement ressentir dans ses intonations.

— Cela suffit, Balthazar. Nous sommes dans ma forteresse, et c'est moi qui décide. Je connais ton mépris pour les autres et ton orgueil surdimensionné, mais pour une fois tu vas te taire et attendre. Je suis Grand Mage au même titre que toi, et quoi qu'il t'en coûte j'ai aussi mes problèmes à régler. Tes soucis ne sont pas le centre de mes préoccupations.

Wahou ! C'était donc cela, la diplomatie ? Finalement, c'était plutôt cool.

Debout, surplombant l'autre Mage de toute sa hauteur, le Mage Rouge était vraiment impressionnant. Pourtant, le Grand Mage de Daïde se leva brusquement, le visage déformé par la colère.

— Tu oses me prendre de haut ?s'écria-t-il. Dois-je te rappeler que mes soucis sont aussi les tiens ?

— Ce sont ceux de tout l'Empire, Balthazar, répondit tranquillement le Mage Rouge. Mais la Barrière n'est pas encore fragilisée au point de s'écrouler.

— Que ferais-tu si elle l'était ? Tu fuirais tes responsabilités, comme d'habitude, et continuerais à te préoccuper de tes petits élèves minables comme si de rien n'était ? Tu les laisserais nous envahir sans lever le petit doigt?

J'échangeai un regard surpris avec Madame Psils. De toute évidence, elle aussi découvrait les relations conflictuelles entre les deux Mages, bien différentes de l'alliance amicale qu'ils faisaient paraitre officiellement. En fait, ce qui apparaissait de plus en plus comme de la rivalité me faisait un peu penser... à Prolff et moi ! En plus violent (et en plus problématique du point de vue des relations inter-royaumes).

Le mage rouge. Le roman de l'Apô-ny, tome 1 (histoire terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant