16. Pourquoi j'aurais dû écouter ma soeur et devenir bibliothécaire

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     Après avoir erré un bon quart d’heure, être repassé au moins trois fois par le même endroit, et avoir grimacé dans tous les escaliers que je rencontrai (maudites courbatures !), je trouvai enfin ce que je cherchai : la bibliothèque.

En tant que petit frère de bibliothécaire, j’ai vite appris que dans toute demeure qui se respecte, il y a une bibliothèque. Je sais, ce n’est pas le genre d’endroit que je fréquente habituellement. Je pourrais même dire que jusqu’à présent, j’ai toujours considéré ce lieu comme un espace inconnu et dangereux, peuplé de méchants bibliothécaires-ermites qui surgissent de derrière des étagères poussiéreuses. Mais c’est en revanche le genre d’endroit dans lequel je pouvais trouver tous les renseignements qui m’intéressaient actuellement. A savoir, des informations sur la magie.

Je poussai la porte avec une timidité qui ne me ressemblait pas. La salle était immense et très lumineuse grâce aux grandes fenêtres qui donnaient sur la forêt. Il y régnait une odeur de vieux parchemins, et il y avait… comment dire… il y avait des livres partout ! Vous allez me dire : normal, c’est une bibliothèque… Mais là, il y en avait véritablement partout ! Dans des étagères, mais aussi sur les murs, au-dessus des portes et des fenêtres, certains étaient même accrochés au plafond !

Après une brève hésitation, je m’avançai vers l’étagère la plus proche, manquant de trébucher sur un exemplaire de Tout savoir sur les créatures magiques, y compris et surtout les détails les plus inutiles qui traînait sur le sol. Pas de bibliothécaire poussiéreux en vue. Mais à peine avais-je fait trois pas qu’un grand cri résonna dans la grande salle lumineuse. Un homme blond et corpulent  se précipita vers moi.

— Bienvenue, cher élève ! cria-t-il. Bienvenue !

Il m’atteignit avant que je ne me cache derrière une étagère remplie de livres de la collection Magie Elémentaire.

— J’ai si peu de jeunes visiteurs ! expliqua l’homme en écrasant une larme tout en me serrant vigoureusement la main. Je suis le bibliothécaire et archiviste de la forteresse.

— Enchanté... Euh… Je suis Al. Vous pouvez lâcher ma main maintenant ?

Il obéit et je secouai mes doigts engourdis. Qu’est-ce qu’il avait comme poigne !

— Alors... En quoi puis-je vous être utile, très cher Al ?

— Je... hésitai-je. Je cherche des livres sur la magie…

Il éclata de rire.

— Mais toute cette bibliothèque traite de la magie ! s’exclama-t-il en écartant les bras, comme pour englober toute la salle.

Je sentis mes espoirs se fissurer dangereusement

— Alors... euh… Vous auriez des livres sur les mouvements magiques de base ?

— Naturellement ! Tout un rayon ! Suivez-moi.

Il me conduisit avec enthousiasme vers une étagère qui croulait sous les grimoires et monta sur un escabeau bancal pour attraper l’un d’entre eux. Sa couverture était bleue et très usée, et on pouvait y  lire en lettres dorées : Collection Magie Elémentaire, tome 1 : positions corporelles de base.

— Celui-ci devrait suffire pour débuter, expliqua-t-il en me tendant le gros volume.

Je le remerciai tout en feuilletant l’ouvrage.

— Revenez me voir quand vous voulez ! me cria le gros monsieur blond tandis que je détalais, le livre sous le bras. L’emprunt dure un mois !

Une demi-heure plus tard, après avoir trouvé la sortie de ce labyrinthe de livres, je découvris dans un petit couloir proche et désert une salle qui n’était pas verrouillée. Elle était minuscule et entièrement vide, mais c’était idéal pour un premier essai.

Pour la première fois de ma vie, j’allai faire de la magie ! Je sais, jusqu'à présent mes premiers essais n'avaient pas été concluants. Mais c'est parce que j'avais manqué de motivation. Et j'avais à présent une excellente raison de réussir : me débarasser de la stupide punition refilée par le lutin-en-chef !

J’abandonnai ma sacoche de cours sous le vitrail multicolore, qui constituait la seule source de lumière de la pièce, et m’assis en tailleur sur le parquet. J’ouvris fébrilement le grimoire à la première page et lut l’introduction.

« La magie est particulièrement répandue à Yalforev en comparaison avec les autres mondes. Il existe en réalité deux formes de magie. Celle que nous pratiquons et une autre, fort différente, qui n’est utilisée que dans le Monde des Glaces. Ses habitants lui donnent le nom de magie d'Aknör. ». J’interrompis ma lecture, impatient. J’ignorai ce qu’était le Monde des Glaces et, à vrai dire, cela ne m’intéressait pas beaucoup... Après avoir survolé le reste de la page du regard, je trouvai enfin un paragraphe plus concret.

« Pour la plupart des sorts usuels, une seule position suffit. En revanche, pour les sorts complexes, il devient nécessaire de combiner plusieurs mouvements. »

Dans la table des matières, je trouvai deux positions susceptibles de convenir. Celle du Vent et celle du Scribe. Comme je finissais par bien connaître la première (contrairement à une idée couramment répandue, je n’ai pas la mémoire d’un poisson rouge amnésique), je feuilletai le livre à la recherche de la position du Scribe. Certaines positions étaient affreusement compliquées, et je compris alors l’insistance du Mage Rouge sur la nécessité de s’assouplir et de se muscler. Heureusement pour mes courbatures, la position du scribe paraissait assez simple, nécessitant juste d’être en tailleur et de faire un petit mouvement de la main.

Parfait.

Maintenant, c’était à moi de jouer.

Je disposai par terre une dizaine de parchemins vierges ainsi qu’une fiole d’encre et inspirai profondément. (j’avais vu le Père Noël le faire, alors ça devait aider.) Comme je ne voulais pas perdre de vue mon objectif, je le visualisais le plus nettement possible dans ma tête. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser à tout le temps libre que j’aurais si je réussissais...

Je fermai les yeux, et mon corps se mit en mouvement presque tout seul. Mon bassin exécuta une rotation parfaite tandis que mes bras ondulaient souplement.

La position du Vent.

Puis, si rapidement que je ne m’en rendis presque pas compte, je me retrouvais en tailleur, sans cesser de faire bouger mes bras.

La position du Scribe.

Avant même d’ouvrir les yeux, je sus que j’avais réussi. A côté de moi, les parchemins n’étaient plus vierges. On pouvait y lire de ma propre écriture : « je suis prié d’écouter le lutin-en-chef avec le respect qui lui est dû et de ne pas me conduire comme un parfait idiot».

Je les ramassai, les doigts tremblants. Je me sentais étrangement fatigué. Le Père Noël n’avait pas exagéré en affirmant que la magie consumait notre énergie ! Il s’agissait de mon premier acte magique, et mon corps n’était pas habitué à une telle dépense…

Je songeai avec délice à ma soirée que j’avais sauvée en quelques minutes à peine. Il me restait juste à mettre les feuilles les unes sur les autres, et à moi la liberté ! Le cœur léger, je quittai la petite pièce après avoir rangé amoureusement le grimoire dans mon sac.

Vous savez quoi ? J’adore la magie !

Le mage rouge. Le roman de l'Apô-ny, tome 1 (histoire terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant