Je le regardai stupidement.
— Me révéler quoi ?
Il leva les yeux au ciel, exaspéré.
— Tout d'abord, veuillez cesser de vous adresser à moi avec autant d'impertinence. Je suis tout de même l'un des plus hauts responsables de votre nouvelle école, et je vous prierai désormais de m'appeler « Monsieur », ou « Monsieur le lutin-en-chef ».
— Je vous demande pardon ? m'exclamai-je. Monsieur, ajoutai-je précipitamment devant son regard noir.
C'était moi, ou ce grand homme avait complètement perdu la boule ? Il se qualifiait de lutin-en-chef ?
— Vous ne vous rendez pas dans une école normale, monsieur Dupin. Elle ne se situe pas en Laponie comme vos parents le pensent, mais en L'Apô-ny.
J'haussai les sourcils. Les deux mots sonnant exactement pareils, je me demandai si je ne ferais pas mieux d'aller prévenir le pilote que son client était en train de délirer.
Il ajouta fièrement :
— Au Royaume de L'Apô-ny.
Il tapota la tablette devant son siège, et j'y lus à nouveau les lettres dorées : « l'Apô-ny Airways ».
Mon cœur battait à tout rompre. Je songeai que le glaçon n'était pas le seul à être un fou furieux. Le pilote devait en être un aussi. J'étais manifestement livré à deux déséquilibrés.
— Ce royaume ne se situe pas dans notre monde, Alphonse. Il se trouve à Yalforev. Un monde bien différent du vôtre. Un monde où la magie existe.
Là, ça devenait grave.
— Alphonse, vous êtes en route pour une école où vous apprendrez ce qui est nécessaire pour devenir le potentiel successeur de l'un des hauts mages de l'empire, que vous connaissez sur Terre sous le nom de... Père Noël.
Au secouuuuurs ! Je jetai un coup d'œil anxieux sur la porte, espérant la voir ouverte, mais l'avion s'ébranla. J'étais pris au piège. Je regrettai soudain d'avoir placé mon portable dans ma valise au lieu de l'avoir gardé sur moi comme je le faisais d'habitude.
— Alphonse, je suis sûr que vous avez du mal à croire mes paroles, mais elles sont pourtant vraies. Il est extrêmement rare que des terriens soient sélectionnés à la Forteresse Rouge, mais vous semblez disposer de pouvoirs exceptionnels.
Toujours ce regard froid. Cet homme avait l'air parfaitement maître de lui.
— Quoi qu'il en soit, je suis ravi que vous preniez cette nouvelle avec tant de calme, dit-il avec sa froide expression habituelle, qui n'avait rien de ravie.
Je ne le regardais même pas. En fait, je testais la technique des loups. Elle devait bien marcher en cas de crise de démence, non ?
Il y eut un petit silence tandis que le jet commençait à rouler sur la piste de décollage.
— Je ne vous sens pas très convaincu, Alphonse, fit remarquer le glaçon en fronçant les sourcils.
Il venait sans doute de remarquer ma discrète démarche de crabe pour m'éloigner le plus possible de lui.
« Quelle impressionnante perspicacité » brûlais-je d'envie de répondre, mais j'avais bien trop peur pour faire de l'humour.
— Je crois avoir de quoi vous convaincre...
Le glaçon se leva et se dirigea majestueusement vers une petite porte au fond, que je n'avais pas remarqué. Il l'ouvrit, puis la referma sur lui.
Aux toilettes. Il était parti aux toilettes !
Après avoir observé avec un pincement au cœur que nous étions en train de décoller, j'envisageai de me cacher derrière mon fauteuil. Mais je n'en eus pas le temps car le glaçon revint immédiatement, considérablement... diminué. Il ne devait pas dépasser un mètre. Quant à ses oreilles, elles étaient... comment dire...? Elles étaient pointues.
— Fichus Terriens...grommela-t-il. J'ai horreur de changer de taille, mais ils sont trop bouchés pour croire en l'existence des lutins et autres créatures magiques !
Il secoua un instant ses bras, comme pour vérifier s'ils étaient d'une taille habituelle, puis se tourna vers moi et changea tout à fait de ton.
— Je me présente plus officiellement, couina-t-il d'une voix aiguë. Je suis le lutin-en-chef de la Forteresse Rouge, conseiller du Mage Roi de L'Apô-ny. Je dirige la demeure du Mage Rouge qui depuis peu est également une école de magie. Je serai lors des trois prochaines années votre professeur, mais aussi votre examinateur. A l'issue de ces trois années, seul le meilleur des onze élèves sera amené à succéder au Mage Rouge.
Je l'observai sans bouger. Comment avait-il changé de taille ? Il ne pouvait pas être fou, son histoire semblait trop cohérente... Mais alors, cela signifiait-il... qu'il disait la vérité ? Etait-il vraiment un lutin, et allais-je réellement apprendre la magie ?
L'avion eut soudain un grand frémissement, qui fit trembler les parois. J'eus juste le temps de m'accrocher à mon fauteuil pour ne pas perdre l'équilibre.
— Monsieur Dupin, annonça théâtralement le lutin en désignant le hublot, bienvenue à Yalforev, et surtout, bienvenue à la Forteresse Rouge !
Je regardai à travers le hublot avec scepticisme. Nous n'avions décollé que depuis quelques minutes. Il était impossible d'être déjà arrivés à notre destination, quelle que cette dernière puisse être. Mais ce que je vis me stupéfia. Loin de voir la grisaille parisienne, je me rendis compte que nous survolions une immense forêt enneigée. A Sud, des collines brillaient d'une clarté rosée sous le soleil couchant, et au Nord, je crus apercevoir une vaste plaine de laquelle émergeait un palais immaculé.
Je remarquai soudain quelque chose d'étrange. Je me souvenais très bien d'avoir une vue sur les ailes de l'avion au moment du décollage. Or ces dernières avaient disparu.
— Euh... Est-ce que nous ne serions pas sur le point de nous écraser ? demandai-je timidement à mon accompagnateur qui ne paraissait cependant pas le moins du monde inquiet. Notre avion semble avoir perdu quelques morceaux !
Le lutin renifla.
— Ne racontez pas de sottises. Notre aérostat a tout simplement repris sa forme originelle.
Comme je n'avais pas la moindre idée de ce que pouvait bien être un aérostat, je me penchai encore davantage par la fenêtre. Nous semblions être surplombés par une gigantesque ombre. Je levai les yeux et vis que l'habitacle dans lequel nous nous trouvions était accroché à une sorte de ballon gonflable de forme ovale. Je me souviens soudain d'avoir vu ce genre d'engin dans un film. Hm... Ca portait un nom allemand commençant par Z....
Comme le terme continuait à m'échapper, je regardai le sol, à la recherche d'inspiration. Et eus le souffle coupé. Nous survolions une immense forteresse.
Elle se dressait fièrement sur un piton rocheux, massive et imposante, élevant élégamment vers le ciel nuageux ses innombrables tours. Si grande qu'elle dépassait les collines. Si haute qu'elle frôlait les nuages. J'eus juste le temps de remarquer les bannières rouges qui flottaient au sommet de chaque tour.
Puis l'aéro-je-ne-sais-plus-quoi commença sa manoeuvre d'atterrissage.
Je dus me rendre à l'évidence. Le lutin (gloups) disait la vérité. Je venais de pénétrer dans un autre monde.
VOUS LISEZ
Le mage rouge. Le roman de l'Apô-ny, tome 1 (histoire terminée)
פנטזיהAlphonse (Al), un jeune terrien, reçoit la visite d'un étrange personnage lui proposant d'intégrer une prestigieuse école dans un pays lointain. Transporté dans un monde parallèle, il se découvre capable de manier la magie et devient l'apprenti du M...