CHAPITRE 10 : ça va, je t'assure.

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Il y a de l'alcool dedans.

La phrase tournait en boucle dans son esprit, lente et tortueuse. Ange écarquilla les yeux, la couleur désertait ses joues alors qu'il palissait à vue d'œil. Il lâcha son gobelet, sous le choc, les mains tremblantes et le cœur battant.

— Non, souffle-t-il. Je n'ai pas...

— Hé mec, fais attention, intervint Charles. Je t'en refais un ?

L'hôte de la soirée lâcha un cri de surprise lorsque Marin le saisit par le col de son t-shirt, pour le plaquer au mur. Les traits du châtain étaient tirés par la hargne qui l'animait, son œil vert ressemblait à celui d'un fauve prêt à attaquer.

— C'est toi qui lui as refilé cette merde ? Ne me dis pas que tu l'as fait boire contre sa volonté... menaça le châtain.

Charles balaya la salle du regard, comme pour chercher de l'aide. Il avait oublié à quel point Marin pouvait être effrayant lorsque la colère s'emparait de lui. Avec sa taille et sa force, il était conscient qu'il ne ferait pas le poids.

— Ça va, c'était pour rire. C'était juste pour voir comment il était, bourré. Il ne peut pas savoir s'il aime ou non, il n'a jamais goûté.

— C'est quoi ton problème ? hurla le soigneur animalier en raffermissant sa prise. Tu n'avais aucun droit de lui imposer ça.

— C'est bon Marin, intervint Ambroise, pour le calmer. Il n'a rien, regarde-le, il s'amusait bien. Hein, Ange ?

Le blond serra le poing et le plaqua sur sa poitrine, tout contre son cœur fou. Il venait de faire une chute vertigineuse, durant laquelle sa confiance s'était effondrée. Il ne supportait plus les paires d'yeux fixées sur lui, il avait envie de disparaître. Il voulut tirer sur les manches de son sweat-shirt, mais se rappela qu'il ne l'avait plus. Il était totalement exposé.

Ange se tendit, alors que des émotions aussi familières qu'effrayantes se réveillaient. Il pensait pourtant avoir réussi à se libérer de ces sentiments d'injustice et de rancœur. Pourtant, la colère était toujours là, ressurgissait sans prévenir. Il avait été naïf de croire qu'il pourrait vivre comme les autres. Il avait cru pouvoir s'intégrer, mais, ce soir, il comprenait qu'il y aurait toujours une barrière. Il serait constamment en décalage avec son entourage. La peur, qu'il avait autrefois réussie à combattre, revenait lui nouer les entrailles. Et si l'alcool réagissait avec son traitement ? Une réaction chimique pourrait lui être néfaste.

— Tu n'avais pas le droit ! s'exclama-t-il tout à coup, déboussolé. Je ne peux pas boire, je n'ai pas le droit...

Ange pinça les lèvres pour retenir la suite. Sa solitude lui manquait, tout à coup. Il souhaitait retrouver son anonymat, loin des déceptions et des jugements. Il avait promis de prendre soin de son cœur, mais il avait été trop naïf en accordant sa confiance. Qui d'autre l'avait laissé boire, en étant au courant ? Un second vertige lui fit tourner la tête et deux mains le retinrent alors que ses genoux menaçaient de ployer. Pourtant, malgré sa fébrilité, il se débattit à la seconde où il reconnut Ambroise.

— Calme-toi, lui recommanda le brun en raffermissant sa prise.

Ange sentit la panique le gagner lentement, alors que la sensation d'être pris en piège le rongeait. Ses entraves lui donnaient plus une sensation d'oppression que de sécurité. À côté de lui, les voix de Marin et Charles se faisaient de plus en plus fortes et agressives. Les poings se serraient, démangeaient. L'intervention de David, qui vint prêter main-forte à son colocataire, eut l'effet d'un électrochoc.

— Lâche-moi ! s'écria le blond.

Le coup partit sans qu'il ne puisse le contrôler. Le dos de sa main heurta le visage d'Ambroise, qui le lâcha aussitôt dans une plainte de douleur. Le geste eut le mérite de calmer tous les invités. Ange baissa les yeux sur ses doigts tremblants et désormais douloureux. C'était la première fois qu'il frappait quelqu'un. Le choc l'empêchait de s'échapper. Ce n'était pas lui, tout ça. Il avait l'impression de replonger dans cette période, pas si lointaine, où la colère était omniprésente.

Entre ciel et merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant