Ange retourna le panneau annonçant la fermeture de la billetterie avec une profonde satisfaction. Un soupir de soulagement lui échappa. Il avait survécu à cette journée, en partie grâce à sa collègue Mila, qui l'avait tenu éveillé avec ses bavardages. Plusieurs fois, il avait piqué du nez durant les périodes de creux. La jeune femme avait terminé le travail deux heures plus tôt, le laissant seul face à la nuit qui tombait sur le port. Il tira les rideaux et puisa dans ses dernières forces pour se concentrer sur sa caisse. Par miracle, il n'avait pas fait d'erreur.
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, il n'avait jamais fait de nuit blanche. Pourtant, la veille, le stress l'avait emporté sur la fatigue. Il s'était tourné et retourné dans son lit pendant quatre heures, la boule au ventre et la gorge nouée, avec la sensation d'être oppressé. Son ascenseur émotionnel avait été mis à rude épreuve. Une part rationnelle de son esprit tentait de le rassurer en lui promettant que Marin avait simplement trop bu, que tout rentrerait dans l'ordre après une discussion. Pourtant, le démon sur son épaule lui insufflait que Marin avait autre chose à faire que de s'encombrer de quelqu'un comme lui. Les jours s'étaient enchaînés, transformés en semaines. Les semaines formaient maintenant un petit mois. Quel garçon sain d'esprit attendrait autant de temps ?
Le cœur en vrac, Ange ferma la porte de la billetterie. Il frissonna sous le froid hivernal et ajusta son écharpe. Il avait passé la journée complètement frigorifié, le manque de sommeil ne l'aidant pas se réchauffer. Ses collègues l'avaient charrié durant le déjeuner, à cause de ses cernes et de son manque d'appétit, qu'ils avaient mis sur le compte d'une nuit d'ivresse. L'étudiant n'avait pas osé les contredire, préférant la simplicité d'un mensonge. Il avait passé l'heure à guetter la porte, mais Marin n'était jamais venu.
Ange apporta la recette du jour à son supérieur hiérarchique et resta planté quelques instants devant la baie vitrée, à observer les lumières de Brest. Il avait envie de céder à la facilité, de rentrer chez lui dormir. Néanmoins, c'était cette même lâcheté qui avait fait déraper les choses, la veille. Il devait voir Marin et réparer ses erreurs, même si pour cela, il devait lui ouvrir son cœur. Il se rendit donc au pavillon polaire et hésita quelques instants devant le panneau « personnel uniquement », avant de se lancer. Après tout, il faisait partie des employés. La déception l'envahit lorsqu'il se rendit compte que la porte était verrouillée.
Marin était parti, sans même chercher à le croiser. Le constat lui serra le cœur et les larmes brouillèrent quelques instants sa vue, difficilement contrôlables sous la fatigue. Pourtant, il les ravala et se dirigea vers le pavillon tropical. Il y avait bien un endroit où le soigneur animalier était susceptible de se rendre. Un profond soulagement l'apaisa lorsqu'il vit sa silhouette, qui se dirigeait vers l'ascenseur des requins. Sans réfléchir, Ange se précipita à sa suite et s'engouffra dans l'appareil. Marin sursauta et se retourna en retirant ses écouteurs, prêt à pester contre le visiteur inopportun. Néanmoins, il se figea en reconnaissant le blond, qui semblait vouloir disparaître en se tassant sur lui-même. Les portes se refermèrent, les piégeant dans la cabine de verre. Ange avisa son teint pâle, ses cernes et ses mains qui tremblaient alors qu'il coupait sa musique.
Maintenant qu'il était face à lui, Ange perdait ses moyens. Le beau discours qu'il avait répété toute la journée s'envolait sous son iris insondable. Il s'était pourtant préparé, avait imaginé ses moindres gestes et paroles, mais rien ne sortait. La peur le clouait sur place.
— Je te jure que je ne joue pas, lui assura Ange d'une voix blanche. Il faut que tu me croies.
Marin faillit céder dans la seconde, déchiré de voir la tristesse au fond de ses grands yeux bleus. Mais s'il flanchait, qui soignerait son cœur, à lui ?
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Entre ciel et mer
AcakIl y a la vie. Il y a l'espoir. Il y a les secondes chances, qui permettent de vivre pleinement. Et puis, il y a Marin. Marin et son regard aussi étrange que rassurant. Il y a les coups d'amour. Les coups de foudre. Les coups de tonnerre. Il y...