Jade
Vendredi 5 juillet 2019, non loin de Savannah, USA
Cela faisait presque quatre ans que je n'avais pas ressenti cette sensation. Ce mélange de peur, d'excitation et d'espoir qui ne me quittait plus depuis que j'étais sortie de mon dernier rendez-vous en compagnie d'une des représentantes de l'Université d'Oxford. C'était il y a deux semaines. Deux semaines que j'arpentais visuellement le jardin avant de la maison familiale, prête à me jeter sur la boîte aux lettres à peine le facteur aurait-il déposé le courrier. De neuf à onze heures, le laps de temps où la tournée passait habituellement chez maman, je n'étais disponible pour personne, même pas pour mon propre estomac. Une symphonie de gargouillements me rappela d'ailleurs mes obligations de simple humaine, mais je ne pouvais me résigner à quitter mon poste de surveillance. Les yeux fixés sur la fenêtre, mes oreilles m'avertirent de la présence d'une autre âme dans la pièce. Je lançai un bref regard accompagné d'un sourire à l'adresse de ma mère, un bol à la main. Mon ventre émit d'autres bruits à la vision de cette nourriture.
- Jade, soupira-t-elle, tu perds de précieuses heures que tu pourrais utiliser pour quelque chose de plus productif.
- Comme quoi ? la questionnai-je d'une voix lasse.
- Oh, je ne sais pas trop, feignit maman, ranger ta chambre serait un bon point de départ.
- Ma chambre sera toujours là dans l'après-midi. La lettre que j'attends est bien plus importante qu'un peu de désordre.
Je reportai mon attention sur la pelouse et en particulier sur la boîte aux lettres. Depuis mon dernier entretien, je n'étais plus vraiment moi-même et j'espérais retrouver ma tranquillité d'esprit en ouvrant cette lettre. C'était un peu naïf de ma part de penser ça : selon la nouvelle, je finirais incontestablement par pleurer, de joie ou de tristesse. La première option était envisageable, la seconde serait un désastre.
- Je crois que ça ne devrait plus tarder, annonçai-je. La rentrée est en septembre, ils doivent boucler leurs dernières inscriptions maintenant.
- Je suis certaine que tu as été prise, ma chérie.
Je m'apprêtai à répliquer, mais je décidai de ne pas aller à contre-courant de ses espoirs. Maman avait toujours été très optimiste et m'avait poussée à mon maximum. Tout m'avait toujours souri jusque-là, scolairement parlant du moins. J'étais, depuis mon entrée à l'université, l'une des meilleures élèves de mon cursus. J'avais été acceptée très rapidement, j'avais trouvé un job à mi-temps pas trop loin de mon appartement. Je n'étais pas allée dans une de ces prestigieuses universités de la Ivy League, mais ça importait peu à maman. Elle était si fière de pouvoir me payer une partie de l'université et de me voir m'épanouir dans les études que la réputation de l'établissement importait peu. Je ne trouvais donc pas la force pour lui rappeler qu'entre une petite université d'État et Oxford, qui était parmi les meilleures du monde, il y avait un grand fossé. Un étudiant d'Harvard ou de Yale avait plus de chance d'obtenir cette place que moi, je le savais. Pourtant, une voix pleine d'espérance vivait en moi depuis deux semaines. Je me permettais de rêver qu'une telle chance puisse s'offrir à moi. Une aventure, un bouleversement.
Maman s'installa à côté de moi, silencieusement, et me tendit son bol de céréales.
- Je ne pense pas qu'Oxford aimerait savoir qu'une de ses futures étudiantes saute des repas à cause d'eux, fit-elle savoir d'un sourire en coin.
Je levai les yeux au ciel avant de la remercier d'un sourire, m'emparant de cette nourriture tant désirée. Coïncidence ou non, il se trouva que j'avalai la première cuillère pile au moment où j'aperçus le facteur s'approcher de la boîte aux lettres. Je manquai de m'étouffer en indiquant à maman, d'un geste de la main, la personne tant attendue. Je déposai ensuite le récipient sur le petit meuble à mes côtés et repris ma respiration, entrecoupée par de grands gestes de la main.
- Oh mon Dieu s'exclama-t-elle d'une voix embarrassée, reste à l'intérieur ou tout le quartier va croire que tu es tombée dans la folie. Tu risques encore de faire peur au facteur s'il te voit dans cet état !
Maman disparut presque aussitôt et je la vis traverser la pelouse jusqu'à arriver près de l'homme. Ils s'échangèrent quelques mots de courtoisie, même un rire, avant qu'il ne lui tendît un tas d'enveloppes d'épaisseurs et grandeurs différentes. Elle passa le seuil de la porte quelques secondes plus tard et je la rejoignis sans attendre.
- Alors ? m'impatientai-je.
- Hum... De la publicité, de la publicité, ah ! Une autre facture à payer. Une lettre de la compagnie des eaux. Oh, qu'est-ce ? Tu as déjà entendu parler de la St John's College ? Qu'est-ce que c'est ?
- Quoi ?
Je m'approchai d'elle alors que plusieurs petits bruits d'excitation s'échappaient d'entre mes lèvres. J'arrivai derrière maman et attrapai la bonne enveloppe, grande comme une feuille A4 et suffisamment lourde pour éveiller ma curiosité.
- Il est évident que tu as été acceptée. Une simple enveloppe aurait été suffisante si cela avait été une lettre de refus.
- Chut !
Je pris un moment pour remettre mes pensées dans l'ordre. Maman avait probablement raison, mais je ne voulais pas sauter au plafond avant d'en être parfaitement sûre. J'échangeai un regard avec elle et, la voyant s'impatienter, j'arrachai l'ouverture dans une frénésie incontrôlable. Un tas de papier atterrit dans ma main et le contenant se déposa sur le sol du hall d'entrée. Mes yeux se mirent à une vitesse folle la première feuille et mon cœur rata un battement.
« Chère Mademoiselle Lawson,
Nous sommes ravis de vous informer que vous avez obtenu une place à la St John's College de l'Université d'Oxford, dans le cursus "Archéologie Classique & Ancienne Histoire". Vous trouverez, ci-joint, les modalités liées à votre inscription et au logement qui vous a été alloué. Le secrétariat de la faculté se tient à votre disposition pour toute question. »
Sans arriver à trouver les mots adéquats pour prévenir maman, la seule solution qui s'imposa à moi, ce fut de pleurer. Un trop-plein d'émotion, un soulagement, une joie immense m'animèrent tout à la fois. La voix de maman me parut bien lointaine tandis que les larmes coulaient sur mes joues. Pour la première fois de ma vie, j'étais sur le point de quitter les États-Unis, de prendre mon envol et partir du cocon familial. Maman pleurait de fierté, mais aussi d'angoisse à l'idée de me voir m'éloigner d'elle sur un plan géographique.
Quant à moi, j'étais si heureuse que j'espérais que mon vol aurait lieu dès le lendemain. C'était la plus grande aventure de ma vie jusqu'à présent. J'imaginais tous les scénarios possibles depuis que l'idée de poursuivre mes études dans un pays étranger m'avait frôlé l'esprit il y avait quelques années. Cela serait dur d'être séparée de ma famille et de mes amies, mais j'étais persuadée que cela en valait le coup et que je reviendrais changée et avec des souvenirs plein la tête.
**
Hello !
On se retrouve pour une toute nouvelle histoire (quoi ? comment ça j'en ai déjà trop sur mon compte ? Oups !)
Quelques petites informations : certains chapitres seront plus courts, car divisés en deux parties (le point de vue de Jade et celui d'Alexandre). Je n'ai pas encore décidé de son jour de publication et de sa régularité, mais je vous tiens vite au courant (ici et sur Twitter). Aussi, nouveauté pour mes habitués : la narration au passé ! J'ai beaucoup de mal, mais je trouve qu'elle convient à cette histoire et qu'elle apporte quelque chose de plus mélodieux. Du coup, comme je n'ai pas l'habitude d'écrire au passé, les conseils et les remarques sont les bienvenus.
Merci à ceux qui me suivront encore dans cette aventure ♥
Ella
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La Noblesse du Cœur ▬ Tome ✯ © #Wattys2021
RomanceAlexandre et Jade n'ont quasiment rien en commun. Tandis que lui mène une vie de prince en Angleterre, elle doit concilier ses études universitaires en Amérique et l'anxiété d'un compte en banque parfois bien maigre. Il vit dans le richesse, elle me...