01 - Alexandre

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Alexandre

Au même moment, Château de Balmoral, Royaume-Uni.

— Tu ne sembles pas dans ton assiette depuis quelques jours.

Nous étions en train de parcourir l'un des jardins du château, un peu silencieusement. La remarque d'Ed était parfaitement correcte, mais il m'était difficile de lui en faire part. Ces dernières semaines, j'étais un peu blasé par tout ce qui constituait ma vie. Un sentiment de vide m'avait envahi peu après les derniers examens. Mon cerveau, désormais en vacances, laissait la place à un cœur qui ne résistait pas à la tentation de me rappeler ce que j'avais mis sur pause, durant les mois qui s'étaient écoulés.

— C'est à cause de Charlotte ?

Mon frère me relança, bien avide de questions, mais aussi très inquiet comme je l'entendis dans sa voix.

— Non, répondis-je. Et c'est peut-être ça le problème. Ce qui m'attriste, c'est de ne pas l'être, tu vois ?

J'évitai son regard en me prenant d'admiration pour l'un des parterres de fleurs fraîchement coupés par l'un des nombreux jardiniers qui travaillaient pour le château. Il y en avait plusieurs autour de nous, très appliqués dans leur travail. Pas suffisamment pour en oublier notre présence, à Edward et moi. Cela faisait vingt-deux ans que ma vie était faite ainsi, toujours entourés d'innombrables personnes employées par la famille royale. Ma famille. Où que nous allions, nous tombions avec certitude sur quelqu'un : un jardinier ici, mais aussi des gardes, des employés de maison, des cuisiniers, des assistants, des hommes politiques (en particulier le Premier ministre qui rendait une visite hebdomadaire à maman). Sans oublier les professeurs particuliers que nous avions eus tout un temps, mon frère, ma sœur et moi. Et puis les palefreniers, les chauffeurs, les stylistes, les coiffeurs. La liste était encore longue.

— Que veux-tu dire, Alex ?

— Je devrais ressentir quelque chose, mais je ne ressens rien. Deux ans de relation et je me sens vide. Ne devrais-je pas être triste ?

— Dans la mesure où c'est toi qui as mis fin à la relation, tu n'es pas obligé de l'être. Certains sont heureux de mettre un terme à la relation, bien que je n'ai toujours pas compris pourquoi c'est arrivé.

— Tu n'as rien demandé.

— Je ne voulais pas paraître trop intrusif. Mais tu sais que si tu as besoin d'en parler, je suis toujours là pour mon petit frère. Et je sens que c'est le cas, n'est-ce pas ? Alors, explique-moi ? Ce n'est certainement pas à cause de son rang social que ça s'est fini. C'était la fille d'un duc avec de très bonnes recommandations, elle n'aurait posé aucun souci. Il ne fait aucun doute que maman aurait donné son autorisation pour que tu la demandes en mariage.

— Sauf que je n'avais aucune envie de lui demander sa main. Charlotte aurait fait l'affaire pour la Couronne, c'est évident. Elle fait partie de ce monde qu'est le nôtre, elle connaît le protocole et tout ce que cela aurait impliqué d'épouser un prince d'Angleterre. Mais elle ne me convenait pas. Je l'ai appréciée et il y avait une certaine tendresse, mais il n'y avait pas d'amour ou d'attirance. J'ai mis du temps à m'en rendre compte, mais quand j'ai compris... Je ne pouvais pas rester une seconde de plus avec elle. Ce n'était pas honnête de lui faire perdre du temps avec quelqu'un qui ne l'aimerait jamais comme il aurait dû.

Ed me renvoya un sourire triste et compréhensif. Avant de rencontrer Cécilia, avec qui il était depuis presque quatre ans désormais, il s'était perdu dans des relations qui n'en valaient pas la peine. Il avait côtoyé un bon nombre de jeunes filles durant ses années de lycée, souvent dans nos cercles sociaux. Une grande majorité d'entre elles n'avaient vu en lui que l'héritier de la Couronne d'Angleterre. Il lui avait fallu du temps pour détecter les personnes opportunistes. Se faire aimer pour ce qu'il était intimement et non pour ce que le monde voyait avait été une étape très compliquée. Ce n'est qu'en rencontrant Cécilia, la cadette d'une fratrie de quatre enfants, fille d'un comte très discret qui évitait le plus possible de se montrer, qu'il avait trouvé la perle rare. Quelqu'un qui à la fois connaissait son mode de vie, mais qui était terre à terre.

— J'aimerais vivre ce que tu vis avec Cécy'. Vous vous êtes bien trouvés tous les deux.

— C'est vrai, tu as raison. Même si tu sais que ça n'a jamais été très facile entre elle et moi.

— Tu parles de toutes les fois où elle a refusé de sortir avec toi ?

— Elle n'est définitivement pas comme les autres filles qui voulaient sortir avec moi parce que j'étais le prince héritier. Elle, elle ne voulait pas pour la même raison ! se rappela-t-il, hilare. J'ai failli abandonner, au bout de quelques semaines. Je ne pouvais que la comprendre. Elle se destinait à une vie normale et voilà qu'un prince arrivait pour lui compliquer la vie.

— Tu ne me rassures pas. Tu pourrais trouver un conseil à donner à ton petit frère tout de même !

— Tu veux un conseil ? Le voilà : arrête de te prendre la tête. Tu n'as que vingt-deux ans. Tu as encore toute la vie devant toi pour trouver la personne qui pourra à la fois te combler toi et être acceptée par maman. Respire, Alex. Et profite de ta dernière année d'université. C'est la dernière, c'est important. Pense un peu à toi au lieu de vouloir trouver l'amour à tout prix. Tu y penseras plus tard.

Ed avait raison, comme c'était souvent le cas. Ses mots avaient toujours su me rassurer et apaiser mes craintes. Pourtant, cette fois-ci, c'était différent : je sentais que le vide que j'avais dans mon cœur ne partirait pas au bout de quelques jours. C'était la première fois que je ressentais ça et j'avais l'intime conviction qu'il y resterait un bon moment.

Entouré de ces centaines d'employés qui m'avaient vu grandir et dont je connaissais les prénoms et la vie, je me sentais plus seul que jamais. 

La Noblesse du Cœur ▬ Tome ✯ © #Wattys2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant