La Noblesse du Cœur ▬ Tome ✯ © #Wattys2021

25 - Jade

Jeudi 28 novembre

Oxford

Jade

La voix du professeur me parut bien lointaine alors que venaient de s'écouler les premières heures de l'après-midi. Il avait plu toute la journée et les gouttes qui martelaient les nombreuses vitres de l'amphithéâtre créaient une ambiance si hypnotique qu'il m'était difficile de revenir à la réalité. Mais le voulais-je seulement ?

Aujourd'hui était un jour que j'avais tant redouté depuis que j'avais atterri à l'aéroport de Londres. C'était une étape difficile où le mal du pays s'immisçait pour la première fois en moi et se nichait confortablement entre les nombreux souvenirs qui s'imposaient à mon esprit. Des souvenirs globalement heureux, ce qui déchirait un peu plus mon cœur d'être loin d'eux en ce jour si spécial. Chacun de ces moments était composé d'un même nombre de points en commun : la saison automnale, les odeurs alléchantes d'une dinde qui cuisait et d'une tarte à la citrouille qui refroidissait, maman s'activant entre la cuisine pour vérifier les différents plats en préparation et la salle à manger pour dresser la table. Il y avait aussi deux petites filles qui s'étaient transformées en deux jeunes femmes au fil des années. Toujours pimpante, toujours souriante, toujours rayonnante. Sans oublier grand-mère assise éternellement dans le rocking-chair que maman avait spécialement acheté pour elle lors d'un Noël particulièrement enneigé.

Pour la première fois depuis ma naissance, je n'allais pas pouvoir fêter Thanksgiving entourée de ma petite famille. Je ne pouvais même pas songer à le faire ici, en Angleterre, où cette fête n'était pas célébrée. Je me sentais en décalage avec le reste de ma classe et j'aurais préféré rester au chaud sous ma couette, pleurant après avoir été submergée par cette infime et passagère tristesse. Mais une petite voix m'avait engueulée au petit matin et pressée de quitter mon lit, sous peine d'être incapable de faire la moindre chose positive ou un tant soit peu productive de ma journée. L'espoir s'était vite évaporé lorsque j'avais compris qu'aucune cellule de mon cerveau ne serait capable de se concentrer sur les cours. J'étais destinée à attendre patiemment que la journée prît fin, assise sur cette chaise, l'esprit endormi.

Maman était déjà derrière les fourneaux à cette heure-ci, hormis si elle avait décidé de travailler. Si nous avions été ensemble, je n'aurais pas pu échapper une seule seconde à ses nombreuses questions concernant Alex. Si j'avais été près d'elle, elle aurait été mise au courant plus vite. J'avais fini par tout lui avouer en début de semaine. Savoir qu'un garçon me plaisait l'avait réjouie, bien que la conversation n'avait pas tardé à atterrir sur les points sensibles et compliqués de cette relation. Maman était pragmatique, j'avais hérité ça d'elle.

Les doutes et questionnements n'avaient pas duré plus de quelques minutes avant d'être de nouveau envahie par mille et une questions sur le charmant anglais qui avait attiré mon attention. Au bout d'un moment, j'avais dû trouver une excuse pour mettre fin à la conversation sous peine de ne plus avoir rien à lui dire le concernant. Après tout, je n'avais eu qu'un seul rendez-vous avec lui et il me paraissait évident qu'il y avait encore des milliers de choses que je devais encore découvrir. Samedi, je partais à la pêche aux informations.

Je ne remarquai pas tout de suite que le cours avait pris fin. Si j'avais su détourner mes pensées de mon pays natal et d'une de ses fêtes traditionnelles pour un habitant très particulier d'Angleterre, je n'avais pas encore totalement repris possession de mon corps et de la réalité. Ce fut un peu comme un robot, en mode pilotage automatique, que je rangeai mes affaires et quittai le bâtiment, les écouteurs dans les oreilles et une main tenant le parapluie. Après quelques pas sous un ciel encombré de gros nuages gris, un vibrement attira mon attention. Sortir mon téléphone était risqué au vu de la météo peu clémente et de mes mains déjà trempées. Je pris la décision d'attendre d'être arrivée « chez moi » plutôt que de faire tomber bêtement l'un de mes deux seuls moyens de communication intercontinentaux.