01 | Comme des rats

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(Lewis)

 
Ouverture du plan. Un petit garçon est allongé sur la plage, les bras et mains écartés.
Les vagues s'avancent peu à peu. Elles viennent lécher les cheveux bruns de l'enfant dans un doux bruit de clapotis.
Son T-shirt orange pétant se démarque, au milieu des couleurs mornes du sables et du bleu de l'océan.
 


C'était un tableau plutôt calme : la plage, l'eau et l'enfant. Le vent se lève ; les premières bourrasques résonnent dans le micro de la caméra. Les quelques herbes qui ont réussi à pousser dans le sable se mettent à suivre le rythme de l'air.
Les vagues s'agitent et grossissent jusqu'à former de puissants rouleaux. Ils produisent un bruit mat lorsqu'il s'écrasent contre le sable.

L'enfant reste immobile : il fait face aux vagues avec une sérénité désarmante.
 
Le premier rouleau s'abat sur lui. Il envoie valser le petit garçon au milieu de l'eau. D'autres vagues s'écrasent sur lui : le garçonnet n'est plus qu'une poupée désarticulée à la merci de l'océan.
Seule la couleur orange de vêtement est désormais visible.
L'océan finit par se lasser de son jeu : les vagues ramènent l'enfant sur la plage. Celui qui tient la caméra effectue un zoom sur son corps inanimé.

Le sable n'a pas attendu pour se coller aux les habits humides du garçon. Sa peau est humide : elle luit sous le soleil.
Mais ce qui frappe en premier, c'est la blancheur cadavérique du corps. C'est aussi ses yeux globuleux et ouverts, perdus dans le vide. Ou alors ses lèvres gonflées, ses coudes et genoux sanguinolents.
 
Cela fait longtemps que la vie a quitté ce corps. Cela fait longtemps que ce corps n'est plus qu'un cadavre.

Un homme rentre en trombe dans le champ de vision de l'appareil. Ses yeux sont fous, ils balayent le paysage de droite à gauche. Ses vêtements sont trempés.
Quand son regard se pose sur le petit garçon, il s'élance dans sa direction sans hésiter un seul instant. Ses pas résonnent dans l'immensité du sable. Il serre l'enfant contre son cœur à s'en faire blanchir les phalanges. L'homme le berce. La caméra est trop loin pour entendre distinctement mais les lèvres de l'homme bougent avec lenteur. Il chante. Pour lui.
 
Un bruit de moteur déchire la scène. Il devient de plus en plus fort, éclipsant totalement le père et son fils, agenouillés sur le sable.
La personne derrière la caméra a un sursaut. Pendant quelques instants, le monde n'est plus que des images floues.

L'appareil fait la mise au point.

Un 4x4 aux couleurs de camouflage, est désormais dans le champ de vision. Sans un seul écart, il roule vers l'homme et son fils.

Un homme en treillis militaire s'extrait de l'habitacle.  Il avance à grands pas : son visage anguleux est contracté.

Sa voix s'élève, dure et coupante comme un couteau. Il pose une question à l'homme qui se tient à genoux devant lui. Ce dernier relève la tête, les yeux trempés de larmes. Il se met à répondre dans un dialecte rapide et mélodieux.

Le militaire repose cette question, en criant cette fois-ci. Le père rentre la tête entre ses épaules ; baisse le regard. Mais il recommence tout de même ses paroles en articulant tous les morts. La langue des mages des vents est enfin compréhensible.

Un sourire déforme les lèvres de l'homme en treillis. D'un mouvement brusque, sa lourde botte vient rencontrer la tempe du père, agenouillé.

Cri de douleur. La caméra s'approche doucement de la scène. Un filet de sang tâche le menton du père. Le militaire n'attend pas que l'homme se relève : il arme son arme et la pointe vers ce dernier. Le père soulève son corps ; se met debout à la hauteur de l'autre homme.

No Escape From RealityOù les histoires vivent. Découvrez maintenant