Depuis le Perce-Neige

Jour 4

Après s'être réveillée, Isolde passa un long moment, peut-être une ou deux heures, les yeux fermés, la tête sur l'épaule de Fan, à écouter les roues écraser la terre, le vent siffler dehors. La conversation entre Sanj et Siegfried, tous deux installés dehors pour conduire ensemble, lui parvenait étouffée par la paroi de la voiture. Ils parlaient de tout et de rien, de l'embuscade d'hier et des dangers qui les attendaient encore, et du bateau que Sanj avaient accidentellement coulé dans la Klar, et de la future fiancée de Siegfried, de Lej et de la Grande Cité. Peut-être son frère avait-il un coeur moins lourd que ce qu'elle pensait. Peut-être que Sanj aidait. Isolde ne croyait pas à quoi que ça soit de romantique entre eux, mais ils était sûr qu'ils s'aimaient, comme elle-même aimait Fan.

Isolde avait tout fait pour que Fan parte avec elle, mais plus elle réfléchissait à ce voyage plus elle était soucieuse. Elle n'avait pas peur de quitter les Blanches-Landes, ou même de se confronter à la Grande Cité -elle n'avait pas peur. Mais les motivations derrière ce voyage, les conditions, tout cela éveillait des soupçons qu'elle semblait être la seule à éprouver.

Elle revenait à ses soupçons souvent, mais il lui fallait du temps pour les déplier sans les briser, comme un morceau de papier.

Siegfried était le troisième sur la liste de bons partis pour Briceida Lux. Il y avait Shen Luke, au Levant, qui approchait son âge et lui aussi était héritier d'un royaume. Deuxième sur la liste, Coleo Tassi, puîné du futur lord du Prins. Plus proche et plus riche que Siegfried. Les Blanches-Landes étaient pauvres -ils n'avaient pour eux que le mérite de garder les Hertzholsz en place.

Les fiançailles semblaient sorties de nulle part. Entre l'accord avec le roi Neslin et son père, et le départ, deux semaines seulement s'étaient écoulés. Il en fallait beaucoup plus pour organiser un mariage princier.

Le mariage donnait trop de pouvoir aux Burgraves. Aussi longtemps qu'Ordono, le prince, ne se mariait pas et n'avait pas d'héritier mâle, Siegfried était le troisième à la succession, dangereusement proche du trône. Le dernier mariage que Isolde avait pu trouver qui donnait le pouvoir sur les Quatres Royaumes et une province en particulier remontait à plus de trois cents ans, avait terminé en guerre civile, et évoqué en tant que cause pour la sécession avec les Hertzholsz.

Si les Lux voulaient se lier aux Burgraves, demander la main d'Isolde pour leur fils Ordono serait une décision moins dangereuse. Moins controversée. Pas qu'elle préferait que ce soit elle, loin de là.

Pourquoi avoir envoyé un seul chasseur de primes et vouloir garder tout cela aussi secret que possible ? Pour conserver les nouvelles du mariage jusqu'à ce qu'il soit propice de les révéler ? Peut-être, peut-être pas.

La contradiction entre le désir de rapidité et les moyens de locomotion était la plus étrange. Les fiançailles avaient été décidée en deux semaines, et Kaspar semblait décidé -obligé- à leur faire traverser le pays le plus vite possible. Pourquoi prendre la route et pas l'eau ?

Isolde avait un mois pour y réfléchir.

-Tu n'es pas d'ici, dit Tre, capitaine des Hommes de Minuit, à Fan.

-Non, répondit-elle calmement. Isolde m'a trouvée dans la forêt.

-Sympathique. T'as été élevée par les loups ?

-J'aurais bien aimé. Ça me donnerait une excuse pour mordre tous ceux qui m'embêtent.

Il s'esclaffa.

-Pas besoin d'excuse. S'ils se plaignent, il suffit de mordre plus fort.

-J'essaierai ça la prochaine fois. Tu es de Flosse.