Jour 3

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Sanj. Sanj. Sanj. Elle testait la sonorité, assise sur les marches de pierre de ce qui, dans quelques heures, ne serait plus sa maison. Bonjour, je m'appelle Sanj.

Non, c'était vraiment bizarre, dit seul. Avec le titre, peut-être ? Sanj, pitié de Lej. Ça marchait mieux. Mais ce n'était pas son nom. La Grande Cité ne serait pas Flosse. Et ainsi de suite. Elle n'arrivait pas à s'expliquer exactement pourquoi elle avait peur d'un petit changement. Elle déménageait. Temporairement, en plus. C'était tout. Mais dans sa tête, quand elle quitterait Flosse, ce serait pour aller s'installer autrepart, une nouvelle maison, une nouvelle famille. Pas un arrangement temporaire. Elle allait sortir du séminaire et ne pas savoir où rentrer. À Flosse sa famille l'aurait oublié. Personne ne la connaissait dans les Costes. Et elle doutait se faire beaucoup d'amis par le biais de ses études. Pas en se présentant comme ça. Bonjour, je m'appelle Sanj ? Ça sonnait bancal. Incertain.

-Comment ça va ?

Elle reconnut la voix de Siegfried, qu'elle n'avait pas entendu depuis un bout de temps. Elle était grave et douce, comme une vieille comptine.

Sanj garda les yeux fermés encore une seconde. Passant en revue les lettres qu'elle avait voulu écrire après avoir appris que leurs pères s'étaient parlés sur quels vents allaient les emmener dans différentes directions. Elle regarda les morceaux choisis, les parties les plus éloquente et solennelles, à la recherche d'une réponse qui paraisse tout de même organique.

-J'ai froid, dit-elle finalement.

-C'est pour ça qu'on ne s'assoit pas par terre dehors.

Sanj se redressa pour rencontrer son regard.

-Je m'asseois par terre dehors si j'ai envie. T'es venu seul ?

-Je leur a dit de nous attendre plus loin. Faut qu'on se mette d'accord sur notre version de l'histoire.

-Quelle version ?

Sanj rejeta la tête en arrière, étouffant un rire. Maintenant que l'idée avait été rejetée, elle ne pensaient pas qu'ils auraient à en reparler, mais elle avait oublié que sa soeur était du voyage, et qu'elle allait sûrement poser des questions. Beaucoup de questions. Isolde, quoi.

-On est amoureux ou non ?

-Vu tes engagements, ce serait mieux que ce ne soit pas le cas.

-Peut-être que ça t'aurait arrangé, je sais pas.

Ils avaient été naïfs, de penser que ça pourrait marcher. On fait semblant d'être amoureux, comme ça on se marie, je n'ai pas à rejoindre l'église et tu n'as pas à quitter le pays. Mais il était trop tard, et les Burgraves avaient déjà répondu à la proposition des Lux. Ils avaient été naïfs, et maintenant il était trop tard.

-Mon vent a tourné, malheureusement, dit-elle. C'est trop tard.

Siegfried sourit, un sourire contrit, puis se contraint à afficher un air plus guilleret, et posa une main sur son épaule. Sanj pouvait déchiffrer à la perfection ce qui se passait dans sa tête -elle connaissait son meilleur ami comme sa poche. La dernière fois il lui avait demandé si c'était parce qu'il épluchait ses pommes au couteau. Elle n'y avait jamais pensé. C'était sûrement le cas.

-Au moins on sera ensemble là-bas. Tu pourras venir au Zénith tout le temps. Je suis sûr que je peux me nommer une pitié personnelle.

-Tu vas me virer au bout de deux jours, vu toutes les vérités que j'ai à te dire.

-Comme quoi ?

Elle se leva et commença à marcher, un sourire aux lèvres. Il la poursuivit.

-Dis-moi.

Depuis le Perce-NeigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant