L'avantage avec Tasse-Marsanne, c'est que comme ils y allaient tous les deux ans, Fan y avait ses habitudes.
C'était un château connu pour son architecture étrange : pour une raison obscure, les ancêtres des Gardants s'étaient obstinés à vouloir construire leur fief à la fois au-dessus de la Marsanne, et au creux d'une vallée -ce qui rendait l'endroit indéfendable. En cas de troubles ils se réfugiaent au Brise-Gelée. Dans un sens, Tasse-Marsanne était surtout là pour faire joli. Bref.La partie la plus ancienne du château avait été à demi-construite sur un pont courant au-dessus de la Marsanne. C'était tellement humide qu'il suffisait d'y passer une nuit pour y contracter une fluxion de poitrine, et si on faisait un trou dans le plancher on pouvait voir l'eau couler en bas. Il y avait donc eu deux additions au château, de chaque côté de la berge. L'une datait de la reconquête et était encore dans le style dorien, l'autre avait quelque chose comme cinquante ans et tout le monde se battait pour avoir ses appartements là-bas. Le Duc insistait pour y mettre les invités en priorité -Fan cédait immédiatement sa chambre à qui la voulait pour une dans l'aile dorienne.
De là, on pouvait voir le soleil se coucher, et comme les murs faisaient un mètre d'épaisseur l'endroit était entièrement silencieux, même les soirs de fête.
La veille, quand elle était arrivée avec Isolde, elle avait immédiatement réalisé l'opération, et était restée dans son petit réduit à coudre jusqu'au soir. Elle traînait tout le temps son nécessaire de fils et d'aiguilles avec elle, mais la vérité était qu'elle n'arrivait pas à se concentrer sur sa couture quand ils étaient en chemin. Il fallait regarder la route, et parler à Isolde et Tre, et suivre tout ce qu'il passait pour éviter de faire une autre bêtise -son attention était constamment ôtée de là où elle voulait la mettre. Elle ne pouvait que faire ça aux arrêts, et ils ne s'arrêtaient quasiment que pour manger et dormir. Elle n'avait simplement pas le temps. Et Fan n'avait pas réalisé à quel point ça lui avait manqué. Le calme. La création. Le travail. Le tissu sous ses doigts, s'asseoir en tailleur par terre, couper et piquer, être laissée tranquille.
Quand elle était sur un point difficile, elle fredonnait. Elle avait fredonné souvent -en à peine une dizaine de jours ses mains avaient déjà perdu l'habitude du travail précis et intense. Elle réapprendrait. Son endurance n'avait jamais été un problème.
D'autres questions l'assaillaient, maintenant.
Principalement, qu'est-ce qu'elle allait faire dans les Costes ?
Elle était partie avec Isolde parce qu'elle n'avait rien à faire au Perce-Neige si elle n'y était pas, mais au Zénith, Isolde n'aurait pas besoin de ses services non plus -il y avait déjà une flopée d'employées et c'était pour cette raison d'ailleurs que Lord Burgrave avait toujours refusé d'y emmener Fan auparavant, elle ne servait à rien là-bas. Ca n'avait pas changé depuis. Enfin si ; ça avait changé puisqu'il était possible que le séjour d'Isolde aux Costes soit permanent. Ou dure jusqu'à son mariage, après quoi elle passerait le reste de sa vie au Perce-Neige.
Qu'Isolde se marie de son plein gré semblait impossible, mais c'était un autre sujet pour une autre introspection.
Fan avait pensé pour s'installer à son compte, se faire couturière à la capitale, mais la vérité était qu'elle n'aurait pas le niveau. C'était la capitale -tout était plus grand, plus fastueux, plus...tout était de trop. Elle, avec son esthétique minimaliste et son style inspiré par celui des Blanches-Landes, parce que c'était là où elle avait vécu la majeure partie de sa vie, passerait inaperçu, et ferait faillite en deux mois.
C'était bête, pourtant. Elle s'y voyait déjà. Petite échoppe étroite mais remplie, dans un quartier animé -le Fil d'Orée, avait-elle prévu, mais elle n'était pas encore sûre du nom. Réparer et tailler pour les petites gens, dessiner et coudre pour quelques clients réguliers plus fortunés.
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Depuis le Perce-Neige
FantasySuite à ses fiançailles avec une quasi-inconnue, Siegfried Burgrave doit traverser le pays en un mois, accompagné de sa soeur, de sa meilleure amie, et supervisé par un chasseur à gages bordant sur l'incompétence. Le chemin jusqu'aux Costes est long...