Kaspar fuma une dernière cigarette avant de passer les murailles de Perce-Neige. Il n'avait pas envie de fumer quand il avait arrêté Lejrin près de la porte, mais c'était sa coutume. Il fumait la même cigarette de tabac Rejin, celui dont les mégots étaient rouges, et jetait lesdits mégots à gauche de la porte. La trace restait. Kaspar du Mont-de-Feu est passé par là, disait la trace. Il repassera peut-être. Hommes justes, accueillez-le. Criminels avérés, passez votre chemin.
Il fuma un dernière cigarette et quand il en tapota le bout pour détacher le mégot, il forma une tache rouge béante sur la neige immaculé. Il s'arrêta une seconde et contempla le cercle rouge, bouche bée. Il n'avait pas vu une couleur aussi palpable depuis un bout de temps. Que du blanc et du blanc, et quand la forêt décidait de s'éclaircir une seconde, du gris. Même le ciel était blanc, dans les Blanches-Landes. Puis à forcer de fixer le rouge, il perdit de son intensité. Kaspar finit sa cigarette et mena sa jument Lejrin aux portes du Perce-Neige.
Les gardes qui gardaient la porte étaient à l'image du château : leur armure était grise et élimée, clairement portée par des générations de soldats avant eux. Leur casque commencait au creux de leur nuque et s'élevait en une pointe brillante, haute au-dessus de leur tête. Sur leurs fronts ils arboraient le symbole des Burgraves, une fleur à cinq épines. Ils examinèrent sa missive attentivement, posèrent des questions sur son identité. Évidemment, ils étaient en temps de guerre, se dit Kaspar après hésité à répondre.
Son identité vérifiée, il dut quitter Lejrin et suivre l'un d'entre eux dans les couloirs tortueux du château, sans passer par la cour. Les couloirs étaient décorés, remarqua-t-il avec une pointe de surprise. Dehors les armures s'entrechoquaient, mais on entendait aussi des rires d'enfants, le crissement de la neige sous leurs pieds. C'était un château distingué. Tout en marchant, Kaspar retira ses gants et leva les mains pour détacher ses cheveux, raidis et cassants sous l'effet du froid constant qu'il affrontait depuis quelques jours. Le garde tint finalement ouverte pour lui une porte ornée. Kaspar pénétra dans ce qu'il reconnut être une salle de conseil militaire. Les cartes et les pions étaient rangées dans un coin de la pièce. Une tête d'ours empaillée était accroché au mur au-dessus d'une monumentale cheminée.
Six personnes dans la pièce. Trois de la famille ducale, trois de la garde ducale. Matthias Burgrave, Duc des Blanches-Landes et seigneur du Perce-Neige, s'avança main tendue vers Kaspar.
-Comment allez-vous ?
Kaspar se laissa mollement serrer la main, étonné qu'un homme qu'il n'ait jamais rencontré le connaisse immédiatement. Puis se reprit :
-Bien, monseigneur, merci.
-Je vous présente ma fille, Isolde, et mon fils Siegfried.
La fille en question regardait à la dérobée les plans de bataille sur la table depuis que Kaspar était entré. Son frère fixait le plafond, impassible, attendant sûrement que la mort vienne le prendre.
-Enchanté, dit Kaspar.
-Tout est prêt pour votre départ, mais je dois juste mettre un arrêt sur votre route. Les enfants, vous pouvez y aller, si vous voulez.
Avec un soupir du fils et un jeté de yeux au ciel de la vie, les enfants disparurent, leurs gardes attitrés avec eux. Le duc saisit Kaspar par l'épaule, avec un sourire amène, mais le premier réflexe de Kaspar fut de se dégager. Il dût retenir ce mouvement pour se laisser entraîner par Matthias Burgrave.
-Deux choses, dit-il. Un, vous allez devoir emmener une troisième personne. Les Lux sont au courant, vont vous payer en conséquence et on vous a équipé pour trois personnes.
-Qui, où ça ?
-Une Pitié de Flosse. Sanj Samnels. Les enfants la connaissent donc ils pourront la reconnaître, ne vous inquiétez pas. Elle doit aller faire son séminaire à la Grande Cité.
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Depuis le Perce-Neige
FantasySuite à ses fiançailles avec une quasi-inconnue, Siegfried Burgrave doit traverser le pays en un mois, accompagné de sa soeur, de sa meilleure amie, et supervisé par un chasseur à gages bordant sur l'incompétence. Le chemin jusqu'aux Costes est long...