Jour 9

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La fois avant celle du Bas Schlitten, celle où Kaspar l'avait pincé à la sortie d'une auberge, il avait dit à Tre le lendemain "on n'est pas si différents, toi et moi". Entre la phrase convenue et leurs relations à l'époque, Tre n'y avait pas plus prêté attention que ça. Maintenant il commençait à comprendre. Ils remettaient toujours à plus tard, pour peu qu'ils aient la bonne excuse.

Pour Kaspar, ça pouvait compliquer ses affaires, mais l'impact s'arrêtait là. Ca avait d'ailleurs déjà compliqué ses affaires -Tre s'étonnait qu'on lui ait confié une mission si importante, surtout avec les échos qu'il avait eu de sa dernière mission dans le Prins.

Bref, pour Kaspar les conséquences semblaient moindres. Tre ne pouvait plus se payer le luxe de manquer une occasion de s'évader simplement parce qu'il appréciait la compagnie de Fan. S'il ne se libérait pas aujourd'hui -leur dernier jour dans les Blanches-Landes, sauf autre problème-, s'il ne se libérait pas aujourd'hui il devrait attendre d'être dans le Prins pour recevoir de l'aide des Giunta. Et espérer passer par leur propriété. Il n'avait pas les mots ou la pratique pour une lettre expliquant la situation en détail et ne voulait pas mettre Fan en mauvaise position en la lui dictant. Il ne savait même pas ce qu'il allait pouvoir dire aux Giunta pour qu'ils acceptent de le tirer d'affaire une autre encore. Mais ils avaient repêché Vaten dix fois plus souvent que lui, donc rien n'indiquait qu'ils ne l'aideraient pas.

Contrairement à la différence entre les Vespérales et les Prins, la frontière entre les Vespérales et les Blanches-Landes étaient abrupte. Seulement vers le début de l'après-midi, ils pouvaient apercevoir du gazon, et le chemin de terre rouge caractéristique des Gorges. Le Brise-Glace s'élevait haut au-delà de la cime des arbres, les regardant venir comme un unique oeil, d'un gris chaud et poussière. Joan lui avait dit que son père lui avait dit qu'en temps de guerre, malgré la distance immense qui les séparait, le Brise-Glace et le Perce-Neige pouvaient échanger des signaux lumineux qui leur permettaient de communiquer des stratégies de combat. Bien sûr, avaient dit Tre. Il le pensait toujours. Impossible. Les Blanches-Landes étaient constamment couvertes par une chape de nuage et de brouillard mélangé, et quand bien même le ciel aurait été clair, des dizaines de kilomètres les séparaient. Le Perce-Neige ne serait qu'un grain de poussière à l'horizon. Bonne chance pour parler du placement des troupes et des moyens de ravitaillement. A l'approche de la frontière le terrain se plissait, les montées et les descentes se multipliaent, et en plus de cela les routes étaient très empruntées, ce qui commençait à définitivement les ralentir.

Autour du dîner, Kaspar décréta que tant pis, ils continueraient de nuit ; les quelques heures de chemin dans l'obscurité jusqu'à un accueil chaleureux au château valaient mieux qu'une nuit sur le chemin, à découvert des brigands et des vents glacés. La réflexion faisait rire Tre. C'était la première fois qu'il avait à s'inquiéter des brigands.

Ils remontèrent en voiture et continuèrent à avancer même après que la nuit soit tombée. Ils étaient plus rapides maintenant que la route était vide. Enfin, jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent sans explication alors qu'ils n'étaient pas encore arrivés.

On n'entendait rien dehors.

Ils passèrent de longues minutes à se regarder dans le blanc des yeux, jusqu'à ce qu'Isolde se décide à ouvrir la porte pour tendre le cou dehors.

-Il se passe quoi ? demanda-t-elle.

-Les gens devant sont arrêtés, dit Sanj.

-On ne va pas attendre qu'ils finissent leur nuit, dit Isolde.

Avec un soupir -je fais toujours tout dans cette maison-, elle jeta sa cape sur ses épaules et descendit de voiture. Fan la suivit, et Tre suivit Fan, parce qu'il ne voulait rien manquer.

Depuis le Perce-NeigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant