Jour 8

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Siegfried avait dormi exceptionnellement bien, ayant passé sa première nuit depuis une semaine allongé sur un matelas. Les voisins avaient été bruyants, mais ça ne l'avait pas empêché de rêver. Un ours brun, grand comme deux hommes, l'avait attaqué à grands coups de griffes, et il avait lutté, d'abord, mais aucun d'eux deux n'arrivait à prendre le dessus. Siegfried, dans un accès de génie, avait jeté son épée à terre, et l'ours s'était immédiatement apaisé. Il avait plongé la main dans la fourrure de son front ; alors qu'elle était d'apparence rugueuse et désagréable, elle était plus douce que la plus fine que Siegfried ait jamais touché. Les poils étaient longs et soyeux, et il avait dû enfoncer profondément sa main pour toucher la peau de l'animal. Il sentait chaque petite veine pulser sous sa peau ; il sentait le coeur de l'animal battre et l'écoutait battre, les yeux fermés, le coeur plein, entièrement apaisé. C'était le plus grand calme qui l'avait obéi ; pas celui de ne plus pouvoir subir le malheur ou la colère, mais celui de savoir qu'il en était protégé par ce contact, cette rencontre étrange.

-Et ensuite, il y a eu un grand coup de vent, et ça m'a envoyé loin de lui. Je ne me souviens plus du reste.

Isolde soupira. Le reste de la tablée dormait à moitié.

-Alors ?

-À ton avis ? dit Sanj. Tu connais.

-Pas l'ours, non.

-L'ours n'est qu'une enveloppe. Le battement de coeur est l'importance. Le battement de coeur c'est la connaissance entière de l'autre. L'amour selon Nam.

Kaspar ne semblait avoir écouté la conversation que d'une oreille jusque-là, mais à la mention du dieu il se redressa, une certaine confusion sur son visage :

-Comment ça ?

-C'est la théorie de la respiration des couples. C'est dans les Manuscrits. Les gens qui vivent un amour passionnel comme celui de Kal et Poe dorment dans leur propres lits et à cause de ça, leurs coeurs sont désaccordés. Les couples mariés, comme Nam et Lej, dorment dans le même lit, et leurs coeurs s'entendent. Les mariés les plus fidèles ont des coeurs tellement en accord qu'ils cessent de respirer en même temps.

-Je vois.

Kaspar se remit dans la position dédaigneuse qu'il avait auparavant.

-Alors ? Demanda Siegfried.

-Simple : tu vas faire face à quelqu'un dont l'extérieur est agressif ou peu accueillant, mais suite à un compromis mutuel, vous allez vous entendre d'un amour durable. Jusqu'au coup de vent, au moins.

Siegfried hocha la tête. Sanj interprétait régulièrement ses rêves, avec une justesse jamais égalée, mais maintenant il aurait voulu ne pas lui avoir parlé de celui-là du tout. Il ne voulait pas s'entendre avec Briceida Lux. Elle ne l'intéressait pas -elle ne ferait que le garder loin des Blanches-Landes, de sa famille. Il serait bon à devenir un laquais de cour, un homme ne vivant que pour s'apprêter et apparaître, être admiré jusqu'à être assassiné. Il ne jetterait pas l'épée devant elle.

Avant de partir, Fan prit le temps de les asseoir, lui et Tre, dans une pièce au calme pour entretenir leurs plaies, pendant que Kaspar remettait en place la voiture et harnachait les chevaux.

Siegfried n'avait presque plus mal au bras, déjà. La visite chez le docteur, hier, l'avait débarrassé de toute inquiétude sur une possible infection. Dans une semaine trop au plus, il serait libéré des sutures, du pansement et à nouveau entièrement libre de ses mouvements.

-On en est à où, donc ? Demanda Tre quand Fan se pencha sur ses blessures.

-On passe le Brise-Glace demain soir, répondit-elle.

Depuis le Perce-NeigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant