Accident au cinéma

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Ce jour-là, lundi 3 juillet 2000, je suis arrivé un peu en avance. C'était le début des vacances d'été et j'avais promis à Frédérique que pour une fois, je ne serais pas en retard. C'était là un de mes défauts : le manque de ponctualité. Ce n'est pas tellement que je partais en retard parce que je paraissais dans mon lit mais bien parce que j'avais toujours quelque chose à faire.

Par ailleurs, mon amie Frédérique ne souffrait en général pas trop de ce retard car elle l'était souvent elle-même. Comme nous passions le plus clair de notre temps à deux, cela ne posait pas de problème. Mais cette fois-ci, elle était partie un peu en avance car elle avait une course à faire.

Le film commençait à 15h et j'étais déjà devant les caisses à 14h45. Une file s'était déjà formée attendant impatiemment l'ouverture de la vente des tickets de ce film prometteur : Gladiator.
Ça faisait bizarre d'aller voir ce film avec une fille mais ma voisine était pratiquement un garçon : elle aimait le football, elle ne portait jamais de jupes ou de robes et elle était plus forte que moi. Son prénom d'ailleurs était prédestiné. Elle arriva derrière moi et me fit sursauter. Rien ne m'étonnait venant d'elle, elle était terriblement jouette.

-Ça va ? Me demanda-t-elle.
-Avant que tu arrives comme un bulldozer, tout allait bien. Je suis arrivé avant toi.
-Oui, pour une fois. Mais je te ferais dire que je ne suis pas en retard, il est 14h55. Le retard ne commence pas avant l'heure.

C'était bien elle. Elle avait toujours un argument pour chaque situation.
La caisse s'ouvrit et la file avança lentement. Frédérique ne cessait de parler de tout et de rien.

On ne l'arrêtait jamais. Elle avait toujours quelque chose à dire. Elle tenait quasiment un monologue auquel j'acquiesçais de temps en temps d'un murmure ou d'un signe de tête.

-Tu ne crois pas ? me demanda-t-elle en me laissant un moment pour répondre.

Je n'avais absolument pas écouté la question, ni le reste de ses paroles d'ailleurs. J'essayais de me faufiler à travers les gens pour aller acheter deux tickets. Et pour une fois, mon amie semblait vraiment attendre une réponse.

-Euh... commençais-je.
-Tu ne m'as pas écoutée.
-Je dois dire que... pas tellement. Tu disais ?
-Comme d'habitude ! Je me demande pourquoi je te parle !
-Je me le demandais aussi depuis longtemps.
-Je te demandais si tu ne croyais pas qu'il devrait y avoir des petites veilleuses pour se repérer dans les salles de cinéma quand les lumières sont éteintes.

C'était le grand drame de Frédérique : elle avait peur du noir. Une peur maladive. Elle n'allait d'ailleurs jamais au cinéma seul de peur de se retrouver dans le noir sans un bras pour s'accrocher. Mon bras gauche en avait d'ailleurs si souvent fait la douloureuse expérience.

-Non. Des lumières détourneraient l'attention des gens. On ne verrait plus l'écran correctement.
-Oui peut-être mais ils pourraient penser aux mal voyants.
-En principe, pendant le film, on ne bouge pas de sa place ! Rétorquais-je.
-Oui mais sait-on jamais. Et puis, je ne vois pas pourquoi il faut absolument que la salle soit plongée dans l'obscurité totale. Quand on regarde la télévision, on ne camoufle pas toutes les fenêtres. Il parait d'ailleurs que c'est très mauvais car trop peu de lumière...

Elle était repartie dans ses monologues interminables. Une fois de plus, j'avais décroché.
Nous entrâmes dans la salle. Comme d'habitude nous choisissions les places du milieu afin d'être ni trop loin, ni trop prêts des gens. Après quelques publicités, le film commença. A plusieurs moments, je sentis mon bras gauche subitement attiré quand la lumière n'était pas suffisante au goût de ma voisine.
Après une petite heure de film, Frédérique me chuchota :
-Tu m'accompagnes aux toilettes ?
-Ah non, t'avais qu'à y aller avant.
-Je sais mais je ne devais pas et ça devient urgent !
-Non. T'as qu'à te retenir !
-Ça te va bien de me dire ça ! me lança-t-elle.
-Très drôle !
-Oh excuse-moi, répliqua-t-elle très vite. Ce n'est pas ce que je voulais dire !

Justin et compagnieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant