Mes potes comprennent bien que quelque chose ne va pas. Mais même moi j'ai du mal à poser des mots sur ce que je ressens, alors je suis bien incapable de pouvoir leur dire ce qui me bloque. Selon eux je devrais être heureux, parce que je m'éclate. Ils ne comprennent pas que ce n'est pas suffisant ? Du coup, ils ont une idée géniale pour me remonter le moral. Je suis évidemment ironique puisque ce qu'ils me proposent c'est une soirée facteur. Le principe est assez simple. L'action se passe dans un bar. À l'entrée, un mec bien foutu représente le facteur. Il porte une casquette avec le logo de La Poste mais à part ça il est en slip moulant, les muscles de son torse bien huilé, totalement épilé. À chaque client qui entre, il pose une étiquette avec un numéro. C'est vachement sympa comme ambiance, de devenir un simple numéro.
Ensuite on s'installe et on regarde les autres. La scène ressemble à ce qui se passe dans une boucherie quand on scrute les morceaux de viande avant de choisir celui qui nous paraît le plus appétissant. Personne ne semble être dérangé par le fait d'être considéré comme de la viande, ce monde est vraiment pathétique. Le principe, ensuite, est de noter sur un papier le numéro d'un mec que l'on trouve mignon et de lui écrire un mot. On glisse le papier dans une petite boîte aux lettres et il faut attendre que le facteur passe. Il redistribue le courrier à chacun et ensuite le destinataire décide s'il veut donner suite à la missive ou non. Disons que c'est original. J'avoue ressentir un peu d'adrénaline en recevant du courrier. Je finis par me prendre au jeu. J'ouvre mes billets pour voir qui m'a sélectionné. Sur la liste il y a pas mal de beaux gosses qui m'ont écrit.
Mes amis sont certainement plus excités que moi. Une fois de plus ils sont heureux parce qu'apparemment je vais encore me taper un beau gosse. Ils commencent à me soûler ces beaux gosses. Et les messages qu'ils laissent sont débiles : « T'es beau », « T'es canon », « Tu me fais band... ». Difficile de choisir parmi tous ces mots d'amour ! J'ouvre la dernière feuille, je regarde le numéro. Je cherche le mec des yeux. Bon, il n'est pas super mignon mais le mot qu'il a écrit sort au moins du lot. Alors, je me dirige vers lui. Mes potes ne comprennent pas et les pseudo beaux gosses qui m'ont écrit semblent vexés.
– On prend un verre ?
Nous nous installons à une table pour discuter. Si ça se trouve dans cinq minutes il va me soûler plus que l'alcool.
– Pourquoi tu m'as choisi ?
– À cause de ton petit mot. Tu dis que je suis gentil, même si tu ne me connais pas.
– C'est ce que je ressens en te voyant. Et puis, je pensais n'avoir aucune chance, un si bel homme...
Finalement j'en ai marre qu'on me dise que je suis beau. Alors je détourne la conversation. Nous entamons les banalités habituelles, qui sont débiles mais un passage obligé. Et là, quelque chose se produit...
