Mistletoe and memories

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Ici Pika au clavier-

Il était seulement dix-sept heures trente, si elle se fiait à l'horloge mécanique qui balançait bruyamment ses aiguilles dans le Café à moitié vide, cependant la nuit avait déjà refermé ses ailes sur Yokohama.

Lucy ajusta sa coiffe, un peu de travers sur ses cheveux roux abîmés par le manque de soin, et lissa son tablier d'une main nerveuse. Plateau en main, elle se dépêcha de débarasser les tables désertes où les clients avaient laissé leurs commandes.

Un regard distrait à travers les vitres de l'établissement lui apprit que les lumières de la ville avaient entreprit d'illuminer l'obscurité soudainement tombée. Lucy n'arrivait pas à se former une opinion tranchée sur l'hiver.

Elle aimait le crépuscule et le calme du soir. Elle aimait le vent frais et la neige qui craquait sous ses bottes.

Mais elle détestait par dessus tout ses doigts gelés qui peinaient à saisir les commandes. Elle n'aimait pas s'emmitoufler sous une dizaine de pulls et passer la journée à les enlever au fur et à mesure que la température montait. Et, pire que tout, cette odeur de fêtes approchant qui la rendait morose et triste.

Noël avait toujours été un moment spécial... Mais pas toujours le bon type de "spécial". Ses premières célébrations, elle les avait passées les coudes dans l'eau graisseuse à récurer les plats auparavant emplis de mets auxquels elle ne pouvait jamais goûter. Mais tout cela lui paraissait étrangement loin maintenant.

Un fantôme de souvenir dont elle parvenait à se détacher, comme si ces larmes amères venant heurter les couverts en argent n'avaient pas été versées par elle.

Non, ce qui faisait peser sur le cœur de Lucy un poids douloureux, c'étaient davantage les joies passées que les peines.

Ses années à la Guilde, bien que parfois rudes, restaient ancrées en elle comme d'heureux moments. Peut être la première fois de sa vie où on l'avait considérée comme une personne à part entière. La gentillesse timide de Louisa, l'honnête douceur de Steinbeck, cette étrange attitude de Lovecraft, le pourboire généreux de Francis... Et surtout, surtout, l'insouciante franchise de Mark. Jamais le rouquin ne l'avait traitée comme sa subordonnée, et toujours il lui avait parlé comme à un égal.

Ce n'était rien d'autre que la civilité la plus basique, à vrai dire, mais ça avait réchauffé le coeur de la jeune femme, bien qu'elle ne l'ait jamais exprimé clairement.

Les autres avaient pitié. Même Atsushi la regardait avec un peu de tristesse dans les yeux, peut être parce qu'il se voyait en elle.

Mais Mark, lui, continuait à lui faire des crasses, à lui lancer d'horribles disquettes en passant dans le couloir pour la remercier du linge lavé.

Et pour Noël, le dernier qu'ils avaient passé avant la destruction de la Guilde n'ayant pas fait exception, il avait eu l'habitude de lui offrir une branche de gui, cet insupportable sourire de dragueur du dimanche collé aux lèvres. Généralement, elle lui enfonçait son bonnet rouge et blanc jusque sous les yeux pour se venger, mais cette année, il fallait l'avouer... Ça lui manquait.

Lucy détacha sa coiffe et son tablier, les plia soigneusement, enleva quelques grains de poussières déposés sur le tissu en soufflant dessus, puis les rangea dans son casier de l'arrière-cuisine. Elle vérifia une dernière fois que toutes les lumières étaient bien éteintes, attrapa les clés restées sur le comptoir, passa pour la centième fois devant la porte principale pour s'assurer que la pancarte lumineuse "CLOSED" soit bien visible depuis la rue, puis se drapa dans son long manteau lavande, et sortit par la porte de derrière qu'elle clencha à double-tour.

La nuit froide lui rosissait les joues et transformait sa respiration en nuages de buée opaque qui se volatilisaient dans l'air. Elle glissa ses doigts gourds au fond de ses poches dans l'espoir de les réchauffer, et commença à marcher jusque chez elle, ses souliers vernis résonnant contre le pavé.

Son appartement était modeste, composé de trois petites pièces, dont une qui faisait aproximativement la taille d'une penderie : sa salle de bains. Mais elle n'avait pas trop le choix, Yokohama était une ville dynamique, s'y loger coûtait cher. Son salaire, bien qu'élevé pour un poste si banal, ne lui permettait pas d'excès pour ce qui était de l'appartement.

Le côté positif de la chose, c'était qu'elle avait quelques sous de côté chaque mois. Le loyer, excessif pour ce que ça offrait, ne la laissait pas démunie. Lucy, en ce mois de décembre, avait brisé sa règle de n'utiliser cette monnaie supplémentaire qu'en cas de crise.

Elle s'était offert un sapin.

Un petit arbre en plastique, d'un vert un peu trop éclatant, décoré sobrement de guirlandes lumineuses et de boules dorées. Mais à chaque fois que ses yeux tombaient dessus, la jeune femme se sentait presque revivre.
Une bouffée de joie lui réchauffait la poitrine, et elle avait hâte, pour la première fois depuis longtemps, qu'on soit dans les jours de célébration.

Parce que cette année, elle savait qu'elle n'aurait que des gens aimés autour d'elle.

Lucy accrocha ses vêtements à la pathère dans l'entrée. Elle garda cependant son écharpe, et se sépara avec peine de ses gants en laine grise. Bien que le chauffage donne tout son cœur pour réchauffer son appartement, il venait juste de démarrer et il fallait lui laisser le temps de faire circuler l'air chaud dans les trois pièces glacées par la journée.

Son ventre vide criait famine, et bien qu'ayant l'envie écrasante d'étreindre ses oreillers pour tomber dans un sommeil profond, la jeune femme se força à marcher jusqu'au frigidaire.

Elle en tira des restes de soupe de la veille, et alluma le gaz avec un briquet qui lui avait été prêté par Atsushi et qu'elle n'avait jamais rendu. D'ailleurs, le garçon ne fumant pas, elle se demandait bien pourquoi il se baladait avec ce genre d'ustensile ?

Son repas ronronnait dans la casserole, répandant une délicieuse odeur dans l'appartement désormais réchauffé, et Lucy enleva son écharpe avec délices. Posant le vêtement à la va-vite sur un dossier de chaise, elle versa la soupe dans un bol, éteignit ses plaques de cuisson, et décida qu'elle ferait la vaiselle le lendemain.

Changeant de pièce et se glissant dans son pyjama, la jeune femme mangea tranquillement son dîner, les pieds enfouis sous les épaisses couvertures de son lit deux places.

La chambre était pleine de vie, et forcément de choses en désordre disséminées ça et là. Là où il y aurait dû y avoir un plafonnier était accrochée une branche de gui, enrubannée de rouge.

Lucy sourit involontairement en savourant la douce chaleur et le moelleux de son édredon. Cette année, le gui était accroché.

C'était son second sapin de Noël, après tout. Il lui sembla sentir le réconfort des bras de Mark autour de ses épaules alors qu'elle sombrait doucement mais sûrement dans un sommeil profond, oubliant sur le sol le bol de soupe vide dans lequel elle marcherait sûrement le lendemain matin.

... Mais ce n'était rien. Après tout, Noël arrivait lentement, et avec lui une douceur propre aux réjouissances, teintée de la certitude de les passer idéalement entourée.

F.S.A's Christmas CalendarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant