5. Le départ

2.1K 316 146
                                    

Nerguri sort un rouleau de papier de son sac, le déroule et hume l'odeur inspirante qui se dégage du feu. Les esprits sont censés l'habiter pour guider sa main. Il se met à tracer le symbole qui ornera notre peau.

Une chouette harfang posée sur la tête d'un loup.

Le dessin est stylisé, son trait est fait de motifs traditionnels et rituels. Nos noms sont inscrits dedans. Je ne reconnais que quelques signes.

Soudain, il suspend son geste puis modifie son œuvre : il ouvre grand les ailes de la chouette des neiges, elle devient alors plus menaçante et protectrice. Il allonge légèrement le cou et le corps du loup, pour équilibrer l'ensemble.

Satisfait, il pose le dessin devant nous.

Ses assistants commencent aussitôt à le reproduire sur notre peau. Nerguri sort le fil et les aiguilles nécessaires pour nous tatouer. Le motif n'est pas très grand, il sera discret comme relativement rapide à appliquer.

Nous demeurons silencieux, le temps que Nerguri et ses assistants travaillent sur nous. Les chamans, eux, discutent à voix basse en langue kaeli. Xemtei observe le processus de ses yeux d'érudit curieux.

Les aiguilles pénètrent sous notre peau.

Je m'attends cette fois-ci à ce que l'empereur lâche une remarque désobligeante, mais il demeure toujours aussi paisible et concentré. Je devine même un sourire au coin de ses lèvres.

Je ne sais pas combien de temps passe ainsi, j'ai l'esprit ailleurs. Je pense à mon clan, à mes parents. À mon cheval là-dehors qui se demande où je suis passée, à mes affaires que j'ai laissées sous la yourte ce matin, au thé de Narusheg que je ne boirai probablement plus jamais...

Quand le processus est enfin fini, Nerguri inspecte le résultat d'un hochement de tête approbateur. Puis ses assistants appliquent par-dessus de fins bandages végétaux.

L'empereur et Xemtei échangent un regard. Le confident sort un document de sa besace, couvert d'inscriptions régulières et de tampons. Il me le tend ensuite, accompagné d'une plume et d'encre.

- C'est un contrat de mariage impérial. Vous avez juste à le signer, m'explique-t-il.

- Chez nous, les choses sont un peu plus simples qu'ici, commente l'empereur d'un ton moqueur.

AH ! Je le savais bien qu'il finirait par lâcher une remarque cinglante !

- Je vous laisse le lire avant de signer.

Je me crispe. Je suis tentée de faire semblant de l'examiner, alors que je n'en comprends aucun mot. Quoique... si, à quelques endroits, je sais déchiffrer mon nom.

Mais je n'aime pas la dissimulation. Et j'ai trop d'orgueil pour avoir honte de moi alors que je n'ai rien fait de mal.

Aussi je lève le menton vers lui et avoue posément :

- Je ne sais pas lire.

Il a choisi une bouseuse inculte, il a choisi une bouseuse inculte, c'est comme ça. C'est son problème maintenant ! Et le plus tôt il le saura, le mieux ce sera.

L'empereur ne fait aucun commentaire et me demande, incisif :

- Est-ce que vous savez écrire votre nom, au moins ?

- Oui.

- Alors ça suffira. Écrivez-le là.

Il pointe du doigt le document en se penchant vers moi. J'inhale son odeur, que j'avais déjà cru déceler malgré les herbes et le feu. Elle m'évoque un mélange de jasmin, de chèvrefeuille et d'une troisième senteur plus exotique que je ne connais pas.

Le Harfang et le LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant