Le Harfang et le Loup

29. Une journée sans Tsadei

- Comment ça se fait ? Elles sont passées où ?

- Je sais pas...elles sont peut-être juste en retard ?

- Ça m'étonnerait !

- Tu les as vues toi, Suirei ?

- Mhmm ?

Je me rends seulement compte maintenant de la confusion qui règne à ma table. Depuis hier soir, je n'arrête pas de repenser aux fantômes du palais. 

Qu'il y en ait qui demeurent bloqués ici sans que personne ne puisse rien y faire, ça ne me parait pas normal. Ce n'est pas dans l'ordre des choses. Et que certains le soient depuis des siècles, c'est encore plus aberrant.

Il y a forcément une solution...

Mais si c'est l'éther qui perturbe tout, peut-être que je dois accepter que ce qui est vrai pour les spectres dans le nord, ne l'est plus ici ? Tout de même... comment une telle situation pourrait être normale...?

Plus inquiétant encore : comment sommes-nous censés faire face à des spectres de manipulateurs d'énergie ?

L'autre question qui ne trouve pas de réponse, mais tourne en boucle dans ma tête, demeure la même depuis le premier jour : pourquoi je suis ici, pourquoi ce mariage ? Qu'est-ce que ma présence a comme utilité, alors même qu'on me demande d'être la plus inactive et transparente possible ?

"Moi aussi je veux le bonheur de quelqu'un, c'est en partie pour ça que je suis ici"... qu'est-ce qu'il voulait dire exactement par là ?

- Ohé ? Suirei, tu m'écoutes ?

- Oui, pardon !

- Je disais : Tsadei et sa bande ! Elles ne sont plus là. Ni Keisuhan, Mijazet ou Limarei ! Tu les as vues toi ?

- Euh... non.

Je laisse retomber ma cuillère dans ma bouillie de millet pour parcourir du regard le réfectoire. Oui, effectivement. Toutes ces dernières années de bonne famille manquent à l'appel.

- Tu crois qu'il leur est arrivé quelque chose ? je m'inquiète aussitôt, pensant à ce que j'ai appris hier soir.

- J'espère bien ! Quelque chose d'horrible si possible ! s'enthousiasme Erueng.

Je ne suis pas de son avis. J'ai beau ne pas les porter dans mon cœur, elles ne méritent pas ça...

N'y tenant plus, Kumlei décide de partir enquêter auprès des tables voisines, prétextant aller chercher de la confiture. Elle revient ensuite vers nous, la mine complètement défaite.

Je pince les lèvres, tremblante, m'attendant au pire.

- Alors, tenez-vous bien, grogne-t-elle en s'asseyant en face de moi. Elles ont été... invitées, avec leurs parents, à participer à une partie de chasse avec l'empereur ! Il s'est décidé sur un coup de tête ce matin. Elles sont à la Villa des Primevères. Elles vont y rester six jours...

- Hein ?! gémit Daireng.

- Ils rentreront tous pour le jour-des-ancêtres.

- C'est quoi la Villa des Primevères ? je demande, immensément soulagée.

- Une résidence secondaire de l'empereur, dans la région de Jegan, explique Ishan. Ce n'est pas très loin. Il y a des sources chaudes là-bas..., ajoute-t-elle comme si cela rendait la situation encore plus insoutenable.

- C'est vraiment pas juste.., se plaint Daireng.

- Je suis sûre que leurs parents ont léché les bottes de l'empereur tout l'après-midi hier, jusqu'à ce qu'il les invite !