13. La capitale impériale

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Certains peuples ont peur que le ciel leur tombe sur la tête.

Là, tout de suite, en ce qui me concerne, j'ai plutôt peur que ce soit moi qui tombe du ciel.

Leireng n'a pas arrêté de se moquer de mes appréhensions quand nous sommes montées à bord de l'aérien. Heureusement, j'ai appris à laisser ses remarques désobligeantes glisser sur la surface de mon visage devenu de marbre. 

Elles ne me font plus ni chaud ni froid. C'est à peine si j'y prête attention.

Elle ne voulait pas m'avoir dans les pattes et me l'a fait sentir tous les jours depuis notre rencontre. Cependant, j'ai aussi pu constater que la plupart de ses interventions condescendantes visaient à corriger des habitudes qu'elle jugeait impropres à ma nouvelle identité.

En public, elle mêle à ces critiques et moqueries toute une série de petites remontrances, comme si elle était vraiment en présence d'une enfant, ce qui finit de parfaire le tableau que nous formons.

"Fais attention à ta robe" "Remercie la dame" "Ne touche pas à ça" "Tu as pensé à laver tes mains ?" "Articule quand tu parles" "Ne me fais pas ces gros yeux" "Ne croise pas les jambes c'est impoli" "Regarde bien où tu mets les pieds" "Ma pauvre enfant, mais qu'est-ce que tu peux être empotée..."

En quelques jours, Leireng m'a tellement invectivée sur les expressions que j'employais, ma façon de me tenir, de parler, de manger, de penser, de marcher, ou juste de fredonner, que j'ai presque le sentiment de ne plus être la même personne.

En apparence tout du moins.

Maintenant, je m'assois toujours sur les sièges quand il y en a, et m'agenouille quand il n'y en a pas, le dos bien droit, les jambes repliées légèrement sur le côté.

Je marche d'un pas obéissant, le regard humble.

Je mange du bout des lèvres, comme si cela me dégoûtait et ne finis plus jamais mes plats comme il sied à une jeune fille bien élevée, maudissant intérieurement ce gâchis.

Surtout, je ne fais quasiment plus rien sans en demander d'abord la permission.

Je suis officiellement devenue une enfant. Mais une enfant de l'empire, impotente et dépendante, certainement pas telle que je l'étais chez les miens.

J'éprouve depuis une certaine pitié pour les adolescentes de l'empire. Si on les traite à seize ou dix-neuf ans de la même façon qu'on les traitait quand elles en avaient cinq, le temps doit paraître terriblement long d'ici l'âge adulte.

L'âge adulte est très arbitraire dans l'empire. Il se compte en années, non en maturité, et n'a rien à voir avec la puberté comme chez les Kaeli. Ici, on est majeur à vingt ans. Et on a vingt ans non pas le jour de son anniversaire, mais lors du nouvel an.

Je ne suis donc pas encore majeure en tant que Taïmi, et en tant que Suirei j'ai encore quatre ans à patienter ! J'espère bien que ma couverture tombera d'ici là, comme promis.

Ce qui me fait tenir, sous mes apparences de petite fille bien sage, c'est le fait de sentir tous les jours contre ma peau le fourreau solide et froid de mon couteau kaeli. 

Dès le lendemain de notre nuit à l'auberge, Leireng est entrée dans ma chambre aux aurores et a pris mes sacs pour s'en débarrasser. J'ai fait mine de protester, mais je me suis félicitée intérieurement de ma manœuvre de la veille pour sauvegarder le peu que je pouvais. 

Comme elle m'a toujours (les esprits soient loués !) laissée me déshabiller et m'habiller seule, j'ai pu lui dissimuler le fait que j'avais conservé mon couteau. Si je crains à tout instant qu'elle ne le découvre, me rajoutant une angoisse dont je n'avais pas besoin, je puise également une partie de ma force dans cet acte de défi.

Le Harfang et le LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant