L'empereur m'observe en silence, indéchiffrable. Il se passe la main sur le visage, avant de finalement désigner les blessés, d'un geste las :
- J'aurais fini par me débarrasser des spectres vengeurs à temps pour leur porter secours, mais votre intervention a simplifié les choses.
Il hésite, pendant que moi-même j'assimile cette curieuse confidence. Puis il ajoute :
- ...merci.
Je suis tellement surprise par sa réaction que je mets un temps avant de répondre timidement :
- De rien... je suis venue parce que vous m'avez appelée...
- Ce n'était pas volontaire de ma part, j'aurais préféré que vous ne quittiez pas l'école. Mais ça ne veut pas dire que ce que vous avez fait ce soir n'a pas été utile, précise-t-il en insistant sur ce dernier mot.
Je repense aussitôt à ce que je lui avais confié, lors de notre dernier échange. Il semble non seulement avoir pris en compte mes remarques, mais surtout, il paraît comprendre enfin mon point de vue.
- Est-ce que d'autres spectres risquent de surgir ici cette nuit ? je le questionne, cherchant à savoir si c'est pour ça qu'il tolère que je reste.
Cela m'étonnerait, mais peut-être n'a-t-il pas d'autre choix ? Il ne s'attendait sans doute pas à perdre ses deux coéquipiers.
- Non. Pas de spectre malveillant tout du moins... Les spectres vengeurs nous ont suivis dans les couloirs quand nous nous en sommes pris à l'autre, mais ils réapparaîtront dans la pièce qu'ils hantent habituellement au temple.
Son regard se trouble un instant, tandis qu'il ajoute :
- ... ils sont épuisants, impossibles à libérer, et malheureusement très tenaces. Mais ils ne représentent pas de menace. Pas tant qu'on ne les dérange pas.
- Contrairement à celui qui se trouve dans la gourde...
Je le revois serrer dans sa longue main griffue le cœur de l'homme, une expression cruelle déformant la brume de son visage.
- Il ne l'aurait pas tué, m'affirme l'empereur en se tournant vers le prêtre endormi. Mais il l'aurait tellement affaibli qu'il en aurait gardé des séquelles toute sa vie. On le traque depuis plusieurs semaines. Heureusement pour nous, il en avait uniquement après les prêtres ! À force, ça nous a permis de resserrer notre surveillance et de le trouver.
- C'est étrange, pourquoi est-ce qu'il s'en prenait à eux ?
Il hausse les épaules, impuissant.
- Je ne sais pas. Il ne voulait pas communiquer. Pas même pour donner son nom. Tout ce que j'ai pu voir, c'est que c'était un suicidé, et qu'il travaillait au palais de son vivant, je ne sais pas à quelle tâche. Si c'est une mort récente, nous retrouverons son urne, peut-être que ça m'aidera à le libérer...
Il exhale brièvement, peu convaincu. Il s'agit d'un spectre nocturne, j'aurais peut-être plus de chance avec lui...
Mais je choisis de ne pas émettre à voix haute cette hypothèse. Je préfère l'empereur paisible, comme il l'est en ce moment, qu'en colère parce que j'ai franchi une frontière dont je ne saisis pas toujours les limites.
- J'espère que vous y arriverez..., je réponds donc sagement, mais également parce que je le pense sincèrement.
Sous ses yeux cernés, il m'adresse un maigre sourire qu'il peine à étirer. Je ne sais pas si c'est parce qu'il est dubitatif, trop épuisé par sa chasse, ou les deux à la fois.
- Vous n'êtes pas étonnée de me trouver au palais, alors que je suis censé être encore à la campagne ? me demande-t-il brusquement.
Il semble interloqué que je me préoccupe plus des fantômes que de son emploi du temps.
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Le Harfang et le Loup
FantasyTraitez-la de barbare stupide du nord si vous le souhaitez, mais Taïmi ne comprend pas ce qu'elle fait là. Elle ne comprend pas pourquoi elle a été choisie pour épouser l'empereur d'un pays qui a longtemps été l'ennemi du sien. Ni pourquoi ce mariag...