26. Un pays de fous

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Je lui résume brièvement comment je me suis débrouillée pour me retrouver seule, avant de retourner à l'étage.

Comment les portes de l'aile nord se sont ensuite ouvertes pour moi, puis refermées. Comment la reine m'est apparue... et comment j'ai enfin compris que ces mots qu'elle répétait inlassablement n'était pas du rhakan.

Je lui parle de mon rêve de l'après-midi, et de comment la jeune fille du rêve et la reine n'ont plus fait qu'une, une fois mon pacte passé.

Il m'écoute sans m'interrompre, attentif. 

Je peux cependant suivre tout l'enchaînement de ses émotions rien que dans son attitude : exaspération au départ, notamment face à mon imprudence et ma manie d'enfreindre les règles, supplantée par de l'atterrement lorsque je m'obstine à suivre un fantôme manifestement puissant.

Puis la surprise. La nervosité.

La suite de mon récit est un peu plus confuse. Je tente de lui décrire ce sentiment d'être plongée dans l'esprit de quelqu'un d'autre, ou bien d'avoir cet esprit plongé en moi... le mélange entre mes pensées et celles de la reine, ou plutôt de la "petite princesse", sans que je sache à qui elles appartiennent au moment où elles viennent...

Je raconte toute la scène, ce que j'ai reconnu pour être une ancienne cérémonie de mariage kaeli, mais clandestine. Puis la venue du "Jireshaxin"... et son geste final, dont la raison et les implications, hélas, me manquent pour être en mesure de vraiment comprendre ce qui s'est passé.

- Et ensuite, je me suis réveillée ici.

L'empereur ramène ses mains devant lui. Après avoir digéré mon récit, il annonce avec pragmatisme :

- Bien. Au moins on sait maintenant comment s'est ouverte cette porte. Mais je me demande pourquoi la reine vous a amenée ici.

- Comment a-t-elle fait ? L'école et ce bâtiment ne communiquent pas...

- Vu de l'extérieur, non. Mais ils communiquent par un sous-sol. Il y a tout un réseau au palais, qui date d'autres dynasties. Ces sous-sols reliaient entre eux tous les bâtiments. Même si le plan du palais a changé au fil du temps, on peut encore se rendre à peu près partout, sans être vu. À condition d'avoir la clé. Évidemment, vous garderez également cette information pour vous.

Il me toise avec sévérité. Je comprends qu'il me démontre une nouvelle fois cette confiance qu'il veut bien m'accorder. Toute relative, mais préférable au fait de me garder dans une ignorance totale.

- Évidemment, je ne dirai rien.

- Ceci étant dit, si un fantôme a le pouvoir de déverrouiller cet accès à n'importe qui... cela ne m'arrange pas.

- Elle m'a appelée tellement fort, après des jours de silence... j'imagine qu'elle avait attendu de pouvoir concentrer toute son énergie. Je ne pense pas que ça se reproduira si facilement.

- Je ne pense pas non plus. Elle a dû également se gorger d'éther d'une manière ou d'une autre avant de vous appeler.

- Ah oui ! (Je m'anime soudain sur mon siège). Est-ce que vous pourriez m'expliquer en quoi l'éther a une influence sur les spectres ? Qu'est-ce que ça change ? Il faut que le sache !

Il hausse un sourcil réprobateur tout en répondant :

- Si vous restiez enfermée bien sagement dans votre dortoir la nuit, et que vous respectiez le règlement de l'école, vous ne devriez pas avoir à vous en soucier.

- Certes. Mais ce qui m'est arrivé ce soir prouve qu'on n'est jamais trop prudents, je conteste d'une petite voix.

Il n'est pas dupe.

Le Harfang et le LoupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant