Le Harfang et le Loup

36. Le pic aux fleurs turquoises

Comme moi, il s'est changé depuis tout à l'heure.

Il a revêtu un beau caftan couleur bronze, tissé de motifs stylisés, ceint par un foulard de soie noir et doré. Malgré des bottes à talons plats, il me dépasse encore d'une bonne tête.

Je n'arrive pas à déterminer à son expression s'il est venu en ami ou en ennemi.

- Suirei Fannan, c'est ça ? me demande-t-il avec brusquerie.

- Oui...

Il m'adresse un bref hochement de menton, puis lance de sa voix hautaine :

- Semkei Hudarem.

Je connais son nom, il a été annoncé ce matin. Et il y a une Hudarem dans les huitième année avec lesquelles on partage certains cours. Jihanei Hudarem. J'imagine qu'ils sont de la même famille ?

- C'est un sale tour que tu nous a joué ce matin, avec la générale..., grogne-t-il.

Je me sens soudain honteuse et avoue platement :

- Je suis désolée, ma professeure voulait vraiment qu'on...

- Ne t'excuse pas ! m'interrompt-il sèchement. Si on avait pu, on aurait fait pareil. C'est de bonne guerre, je ne t'en veux pas.

- Oh ? je réponds, surprise. Tant mieux alors, je suis soulagée.

Ma remarque spontanée le prend de court. Il rougit un bref instant, avant de croiser les bras en position défensive :

- Ah bon ? Pourquoi ? Qu'est-ce que ça peut bien te faire ?

- Eh bien, je ne cherchais pas à t'humilier. Je voulais juste... ne pas décevoir ma professeure, et rendre fière ma famille, je bredouille.

Ce qui me gène le plus, c'est combien en réalité ma victoire est injuste ! 

Il lui était impossible d'être aussi bien entraîné que moi, qui ai travaillé ces disciplines quotidiennement depuis l'enfance... Nous ne partions pas égaux. En vérité, il a même plus de mérite que moi.

Je poursuis donc un peu précipitamment :

- Mais tu t'en es très bien sorti ! Tu ne t'es juste pas assez méfié de moi, sinon je suis sûre que tu aurais redoublé d'effort et fait mieux. 

- Possible, me répond-t-il en secouant les épaules. Hum...

Il me contemple de la tête au pied, soupçonneux, avant de déclarer :

- Je suis surpris... d'habitude, la rivalité au tournoi entre les champions des Pruniers et des Iris est tellement forte que vous êtes ravies de nous voir perdre !

- Ah bon ? je m'exclame, désabusée. Je ne savais pas. Mais ça m'étonne... les élèves que je connais ne m'ont pas donné l'impression d'être comme ça.

Sauf peut-être certaines...

- Tu dis certainement ça parce que tu es nouvelle.

Je hausse les épaules, peu convaincue, mais consens à répondre :

- Peut-être...

Il arbore un bref sourire en coin et me confie :

- Quand je t'ai vue arriver ce matin, je me suis dit que ça allait être vite plié. Ça m'apprendra à sous-estimer mes adversaires ! Mon professeur m'avait dit de me méfier : tu es de la famille Murcan. Les Murcan ont l'art du combat dans le sang. Même si tu n'es pas de la famille proche, c'est évident que s'ils t'ont adoptée toi, c'est qu'il y avait une bonne raison...

- Ils ne m'ont pas adoptée, je suis juste leur pupille, je le corrige.

- Du pareil au même ! Mais ils ont bien fait. Ça rappelle à tout le monde ici leur juste valeur. Trop de gens ont tendance à l'oublier. Je ne ferai pas la même erreur.