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13.09 : Gabriel

Je détestais les fêtes. Pas seulement parce qu'elles n'étaient qu'un prétexte aux pires comportements d'étudiants frustrés par l'injustice de leur vie. Ou parce que la musique qui passait était toujours le pire de ce que l'industrie pouvait produire. Si je détestais autant les fêtes, c'était parce que j'étais obligé de m'y rendre, alors que je n'avais qu'une envie : être chez moi, seul.

Celle-ci en particulier, était absolument horrible. J'aurais donné n'importe quoi pour ne pas m'y trouver, pourtant mes fesses restaient résolument scotchées au tabouret du bar où je m'étais réfugié rapidement. Je ne pouvais pas ne pas être ici, après tout les soirées d'intégrations étaient uniques et particulièrement prisées par les étudiants. Pour apprendre à se connaître.

J'avais surtout la ferme conviction que ce n'était qu'une occasion de plus de s'exploser le gosier à coups de vodka avant le début de l'enfer.

Je devais admettre que les étudiants en écoles préparatoires faisaient montre d'une grande capacité à la débauche. Peut-être cela compensait-il tous les sacrifices qu'ils devraient faire ensuite, pour réussir, ou au moins terminer, leur année.

Tout le monde avait l'air de savoir ce qu'il faisait ici, tout le monde s'amusait. Alors pourquoi pas moi ? J'étais seul au bar, un verre d'alcool à peine entamé dans la main. C'était une vision absolument pathétique, compte tenu de la bonne impression que j'avais donné pour cette première semaine de rentrée. J'étais certain de n'avoir rien raté en termes de premières rencontres. J'avais pris mes marques comme je le faisais toujours.

« Mais t'es tout seul ce soir Gabriel. Personne ne se souvient de toi. »

Je grimaçai et avalai une gorgée de mon mélange vodka/ice tea pour faire taire Monty. Monty, c'est le nom que j'ai donné à ma conscience, parce que sinon c'était "la voix" par défaut, et je détestais faire les choses par défaut. Je devais m'investir à cent pour cent dans tout, ou sinon ne rien faire.

Prenant mon courage à deux mains, je finis mon verre d'une traite et quittai la sécurité du bar. Plusieurs visages vaguement familiers dansaient devant moi et je décidai de les rejoindre. On m'accueillit par quelques sourires et exclamations et j'échangeai brièvement avec Caroline, la première à m'avoir adressé la parole à la rentrée.

Je lui demandai pourquoi la soirée d'intégration se déroulait dans un bar. Elle me répondit en riant que l'organisation des khâgnes cette année laissait à désirer et que donc, par facilité, ils avaient simplement convié tout le monde à un bar. Je lui fis remarquer que le terme "soirée d'intégration" perdait un peu de son sens du coup, et elle haussa les épaules.

Puisque la musique ne prêtait pas à la discussion, nous nous contentâmes ensuite de nous séparer en dansant. Je revins vers le bar pour commander un nouveau verre, sentant déjà les effets du premier sur ma perception. J'avais envie de faire comme tout le monde, ce soir. Je savais ce que dirait ma mère, que ce n'était pas bon pour moi, avec le traitement. Mais si je ne finissais pas bourré à la soirée d'inté, alors je ne le serai plus jamais.

Avant que Monty ne me fasse un sermon, je retournai sur la piste de danse. Je n'avais pas d'autre objectif que celui de danser. Ce n'était pas quelque chose que je faisais souvent, la honte me dissuadant la plupart du temps.

C'est une fois de retour sur la piste que je me rendis compte de l'effet de l'alcool sur mon organisme. Bien loin d'être la tête dans les W.C, j'avais toutefois le sentiment que le monde n'était pas comme d'habitude. Certaines petites choses n'allaient pas, ou plutôt allaient trop bien.

J'aurais dû grimacer face aux néons aveuglants. J'aurais dû trouver cette masse informe de population repoussante tant elle était désordonnée. J'aurais dû haïr ma situation. Mais je ne trouvai plus l'envie de le faire. Simplement une douce euphorie qui me gagnait petit à petit, me laissant spectateur lointain d'une scène peut-être irréelle.

La musique me berçait et même si personne ne pouvait m'entendre, je chantai cette chanson que je connaissais bien. L'alcool avait fait taire Monty pour de bon et je me retrouvai l'esprit clair et calme comme ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Alors je profitai de cette paix factice avec timidité d'abord, puis plus sereinement.

J'étais bien, terriblement bien. Au fond de moi, bien sûr, je savais parfaitement que tout ceci n'était dû qu'à l'alcool et que, par conséquent, ce n'était que des mensonges. Demain, tout reviendrait à la normale. Mais nous n'étions pas encore demain et j'avais toute la nuit devant moi.

Mes yeux s'étaient fermés pour apprécier la musique tonitruante. Lorsque je les rouvris, une présence s'était faufilée à mes côtés. Mon regard se baissa sur la silhouette masculine qui se découpait devant moi. Je ne voyais rien d'autre que des cheveux blonds et un sourire d'une blancheur déconcertante. Malgré moi, je me demandai quel dentifrice il utilisait pour avoir une si belle dentition. Je voulais savoir. J'en avais besoin.

Alors je m'approchai de lui, me penchai à son oreille et lui posai la question. Je ne sus pas s'il me comprit, mais son rire franc me fit un bien fou et je me mis à sourire moi aussi. À son tour, il se pencha vers moi.

— Comment tu t'appelles ? l'entendis-je me demander.

— Gabriel. Et toi ?

— ....

Je ne compris pas sa réponse. Au lieu d'insister, je l'attirai avec moi pour danser. Je savais parfaitement que ma conscience m'observait actuellement, dégoûtée par mon comportement. Mais je ne réfléchissais plus vraiment à mes actes. Ce dont j'avais envie était tout ce qui importait. Et j'avais envie de danser avec ce garçon.

GrandioseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant