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14.09 : Ange

— Allô ?

— Hey Ange ! me lança-t-elle. Alors cette soirée ?

— C'était super cool ! J'ai fini complètement bourré mais...

— Fais gaffe, il pourrait t'entendre.

— T'inquiètes pas, il n'y a vu que du feu, la rassurai-je.

— Bon. Fais attention à toi, quand même. Et, Ange ? Je ne pouvais pas te le dire à table, mais t'as un énorme suçon dans le cou. Je suis sûre que papa l'a vue.

Immédiatement je me levai et me rendis dans la salle de bain pour observer mon reflet. Je grimaçai en apercevant la tache sombre sur ma peau.

— T'as raison ! geignis-je, défait. Je vais encore devoir imaginer une torride histoire d'amour avec une fille imaginaire...

— Et qui est l'heureux élu, cette fois ? me demanda Alice, sans parvenir à cacher la curiosité dans sa voix.

— Il est dans ma classe. Un petit brun un peu rachitique, mais qui se déhanche comme le diable. Je ne sais pas encore ce que ça va donner mais...

— J'espère juste que ça ne finira pas comme les autres fois, compléta ma sœur, m'arrachant un soupir.

— Je n'ai pas beaucoup d'espoirs de ce côté-là. Je suis le digne fils de mon père, après tout.

— Ne dis pas ça. Tu es à des lieues d'être un connard sadique.

Je souris face à l'insulte. Nos langues se sont bien déliées vis-à-vis du paternel quand nous sommes entrés au lycée. Depuis, on ne se prive jamais d'exprimer nos sentiments dans son dos.

Alice finit par raccrocher quand sa réunion de travail commença. Je retournai dans ma chambre et me laissai choir sur le lit. Incapable de me résoudre à étudier, je repris mon ordinateur et vérifiait si Gabriel avait répondu à mes invitations. En constatant que c'était silence radio, je ne cachai pas ma déception et décidai que sortir un peu me changerai les idées.

Je ne supportais pas de rester dans cette maison trop longtemps. J'avais toujours le sentiment d'étouffer et je savais qu'Alice ressentait la même chose. Nous passions notre temps à sortir, prétextant mille et unes excuses pour échapper à l'emprise pesante du patriarche.

Je récupérai un paquet de cigarette bien dissimulé et descendit l'escalier. En passant devant l'ouverture donnant sur le salon, j'attirai l'attention de mon père.

— Où vas-tu ? Tu devrais être en train de réviser, me reprocha-t-il immédiatement.

— J'ai fini toutes mes révisions ce matin, mentis-je.

Sans plus m'appesantir je récupérai une veste sur le porte-manteau et quittai la maison. Une fois dans la rue je parcourus quelques mètres avant de m'allumer une cigarette. Je ne m'en vantais pas, mais je fumais beaucoup. J'avais trouvé une façon comme une autre d'échapper à mon entourage suffocant, quand j'étais encore trop jeune pour réaliser complètement ce que ça impliquait.

Aujourd'hui, je n'avais pas assez de volonté pour arrêter. Le courroux d'Alice ne suffisait pas à me motiver, ni le caractère complètement interdit de mon activité : si papa savait que je me tuais la santé en finançant les multinationales riches comme crésus...

« Comme si tu n'étais pas le dirigeant d'une marque de vêtements... hypocrite. »

Je relâchai une volute de fumée et l'observai dessiner des arabesques sur le fond si parfait que formaient les différentes maisons du quartier. Je détestais cet endroit autant que ma propre maison ; je n'avais pas l'âme d'un bourge, sans oublier le fait que tout ce qui touchait à mon père me rebutait.

Ma petite pause ne dura pas longtemps. Malheureusement j'avais du travail et j'étais déterminé à ne pas me laisser distancer par le rythme infernal de la prépa. Je n'aimais pas spécialement ce que je faisais, mais je ne pouvais pas me permettre de rater, ou me contenter d'un niveau moyen. Dans ma famille, c'était l'excellence ou rien.

J'eus une pensée compatissante pour ma sœur jumelle, coincée dans un master qu'elle détestait parce que mon père avait jugé bon de lui faire sauter deux classes au collège, au vu de ses résultats. La charge mentale qui pesait sur Alice était tout bonnement inhumaine et je l'admirais pour n'avoir encore jamais perdu pied.

En revenant sur mes pas, je fourrai la main dans ma poche et en ressortit un tract dont j'avais oublié l'existence. Il s'agissait d'une publicité pour des cours de théâtres dispensés gratuitement au café-théâtre Improvidence, par une ancienne professeure du Cours Florent. Quand j'avais reçu le tract, je l'avais immédiatement plié dans ma poche, persuadé que de toute façon, je n'aurais jamais le temps, ni l'autorisation d'y aller. Pourtant, je ne m'étais jamais résolu à le jeter.

Peut-être au fond de moi voulais-je toujours pouvoir espérer m'y rendre un jour. Alors je relis brièvement les informations sur le papier et le repliai, le rangeant dans ma poche. Ce serait pour une prochaine fois. 

GrandioseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant