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28.09 : Ange

— Gabriel ? Eh ho, tu m'écoutes ? Gabriel !

Il ne m'écoutait pas, malgré mes gestes et mes paroles. Gabriel était toujours penché en avant, les yeux vers le sol et les mains crispées sur la table. Perdu, je me redressai et posai mes mains sur les siennes, dans une tentative d'attirer son attention. J'appelai son nom plusieurs fois, me rapprochant de lui.

Puisqu'il ne bougeait pas je contournai la table et vins m'accroupir près de lui. Son état était plutôt alarmant et j'espérai pouvoir l'en faire sortir, pour comprendre. Une main sur son épaule, j'essayai de capter son regard. Finalement, ma main vint prendre en coupe sa joue pour tourner son visage de force.

Gabriel darda alors sur moi un regard tout bonnement paniqué. La surprise me rendit muet et je fronçai les sourcils. Je ne comprenais pas pourquoi il se mettait dans un tel état. Me regarder eut au moins le mérite de le sortir de sa torpeur et il se redressa en faisant crisser sa chaise sur le sol.

Immédiatement je l'imitai, mais lorsque je voulu prendre sa main dans la mienne, il se déroba vite.

— Gabriel, tu m'expliques ? Qu'est-ce qu'il te prend ? demandai-je à nouveau, espérant recevoir une réponse.

— J-Je suis désolé si... ce que je dis n'a aucun sens... je te promet que je ne fais pas exprès je... ah, tais-toi un peu... bredouilla-t-il enfin.

Gabriel porta ses deux mains à ses tempes, comme s'il était pris de migraine et il se courba en avant plusieurs fois en faisant quelques pas.

Heureusement pour nous, l'étage était désert, la majorité des clients préférant le rez-de-chaussée.

— Non, non, non, je ne voulais pas ! cria le brun, me faisant sursauter.

Je le rejoignis rapidement et tenta de l'arrêter en saisissant son épaule mais il se dégagea en criant un peu plus. Je n'avais jamais vu une telle agitation chez qui que ce soit et demeurai immobile.

Devant moi, Gabriel continuait d'articuler des phrases décousues. J'écoutai, attentif, pour essayer de comprendre.

— Je suis désolé, désolé, désolé, désolé... commença-t-il.

— Calme-toi Gabriel, je ne te reproche rien !

Mais il ne m'écoutait pas. Ma totale impuissance me faisait maintenant bouillonner de rage. J'étais agacé contre moi-même mais encore plus contre lui, ce garçon que je connaissais à peine et qui entrait en pleine crise de nerf sans aucune foutue raison.

Pourtant, je savais au fond de moi que je ne devrais pas ressentir ça. Je savais que ça ne ferait que ressembler un peu plus à mon père. Alors, pendant que le brun continuait ses pas hasardeux et ses plaintes, je pris une longue inspiration.

Me retournant vers notre table je tombai facilement sur son téléphone. N'ayant pas son code, je revins vers Gabriel pour tenter de l'obtenir. En posant mes yeux sur lui, c'est prostré au sol que je le trouvai, en train d'avaler quelque chose qu'il venait de sortir de sa poche. Je n'eus pas le temps de le retenir que déjà il déglutissait.

Assis sur le carrelage, les genoux repliés contre lui, Gabriel se calma progressivement. Le corps secoué de tremblements je vis avec stupeur des larmes rouler sur ses joues. Je n'étais pas certain de ce qui lui arrivait mais il paraissait se détendre de plus en plus rapidement et j'eus peur qu'il ne fasse un malaise.

Je me dépêchai de m'accroupir à côté de lui et observai son téléphone. Je remarquai la présence d'un capteur d'empreinte et me saisit de l'index de Gabriel pour déverrouiller l'appareil. Fébrile, je parcourus ses contacts tout en surveillant les faits et gestes du brun.

J'appelai littéralement le premier contact sur sa liste et fut immensément soulagé d'entendre une voix à l'autre bout du fil.

— Un problème Gab' ? demanda une voix grave, presque agressive.

— Allô, je... j'avais rendez-vous avec Gabriel et il se comporte bizarrement et...

— Qui est à l'appareil ? Ange ? Tu es en rendez-vous avec Gabriel ?

— Hein ? Oui, je... on parlait et il s'est mis à faire, je sais pas, une crise, et maintenant il a l'air sur le point de faire un malaise...

— Envoie-moi l'adresse, j'arrive.

Sur ces derniers mots elle raccrocha, et je m'empressai de lui obéir en lui envoyant l'adresse du bar par message. Une fois fait, je reportai mon attention sur Gabriel. Il ne bougeait plus désormais et demeurait prostré, le visage caché entre ses bras croisés. Je m'assis au sol près de lui et posai une main hésitante sur son épaule, mais il ne réagit pas.

Il nous fallut attendre une bonne vingtaine de minutes avant de recevoir de l'aide, vingt minutes pendant lesquelles je ne cessai d'hésiter sur la conduite à adopter. Gabriel avait beau me plaire beaucoup, nous ne nous connaissions pas et je n'avais aucune raison de subir cette... je ne savais même pas ce que c'était.

La logique aurait voulu que j'appelle un gérant du bar et m'en aille – d'autant plus que j'avais dépassé le couvre-feu depuis longtemps – mais je n'avais pu me résoudre à abandonner le brun. Les mots de ma sœur résonnaient en moi chaque fois que je m'apprêtais à faire les mauvais choix : « pour chaque acte égoïste que tu veux faire, pense à ce que tu pourrais apporter, et à qui. »

Alors, même si ce garçon était un quasi inconnu pour moi, je restai à ses côtés jusqu'à ce que ladite Ada Maulnier n'arrive.

— Ange ? m'appela une voix.

Je me retournai pour apercevoir une jeune femme à l'allure de racaille arriver vers nous. Elle s'accroupit pour observer Gabriel et je me relevai, lui laissant plus d'espace. 

GrandioseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant