04.10 : Alice
Alexandre ne m'avait pas recontacté, depuis notre déjeuner. Malgré mes cours et mes devoirs, je trouvais toujours du temps pour y penser, me retournant le cerveau dans tous les sens. Je ne savais pas exactement quoi retirer de ce rendez-vous : est-ce que j'avais apprécié ? Oui. Est-ce que certaines choses m'avaient gênée ? Oui, aussi.
Déjà, il y avait eu le choix du restaurant. Honnêtement, je n'étais pas difficile : j'aimais les fast-foods autant que les brasseries, et je ne mangeais au restaurant que lorsque mon père nous invitait, pour telle ou telle célébration de sa carrière. Le milieu bourgeois me mettait mal à l'aise, et me faire inviter dans un petit restaurant bien côté, dans la vieille ville, m'avait rappelé ça. Sans parler du fait que le restaurant était bondé de touristes bruyants.
Ce qui m'avait le plus dérangé pourtant, ce n'était pas le lieu, mais l'attitude d'Alexandre. J'étais quasiment certaine qu'il avait pris pour modèle tous ces films qui dépeignaient le rendez-vous idéal. Il avait cherché à en faire beaucoup, beaucoup trop, au point de m'embarrasser. Je m'étais attendu à autre chose de sa part : une attitude plus honnête, plus franche, qui lui ressemblait. Mais il s'était embourbé dans de la politesse et de la galanterie exagérées, avait tenu à payer alors même qu'il savait qu'il n'avait pas assez.
Résultat, sa carte avait été refusée, et j'avais dû payer moi-même pour nous deux. Je m'étais retenue de lui faire remarquer que s'il savait qu'il ne pouvait pas payer, il aurait pu m'épargner son discours d'homme galant. Je me fichais de qui payait au premier rendez-vous.
Malgré ce déjeuner quasiment catastrophique, nous avions beaucoup parlé et j'appréciais sa compagnie. Sauf que depuis, c'était le calme plat. Je n'avais même pas reçu un seul message de sa part, et je supposais qu'il était trop gêné par son attitude, ou par la différence flagrante entre nos modes de vie.
Cette constatation me laissa amère, alors je décidai de laisser cette rencontre de côté, et passer à autre chose.
Aujourd'hui, je rentrai tôt des cours. A quinze heures j'étais chez moi, enfermée dans ma chambre, prétextant un travail urgent pour que personne ne me dérange. En réalité j'avais juste très envie de regarder une série. Alors je m'étais installée sur mon lit, une boîte de gâteau à portée de main.
A un moment donné, je reçus un message de ma mère qui m'annonçait que mon père était parti. Inconsciemment, je me détendis. Presque en même temps, mon frère m'envoya un message.
Ange : il est parti ?
Alice : oui.
Ange : tu sais quand il doit rentrer ?
Alice : non, attends je demande à maman.
Quelques secondes plus tard, je lui écrivis :
Moi : c'est bon, il sera pas rentré avant tard le soir, il a une réunion.
Ange : O.K merci.
Je reposai mon téléphone et me reconcentrai sur mon épisode. Une ou deux heures plus tard, j'entendis des pas dans l'escalier. Par réflexe, je dissimulai mon ordinateur sous ma couette et prit mon livre. Le visage qui apparut en ouvrant la porte ne fut pas celui de mon père.
— J'ai ramené un ami, m'annonça-t-il. On va bosser dans ma chambre.
— D'acc, lui répondis-je en souriant. Bossez bien.
Il me fit un client d'œil, m'arrachant un soupir blasé. C'était probablement l'une de ses conquêtes qu'il avait à nouveau ramenées. Ça expliquait ses messages. J'entendis une conversation étouffée avant que les portes ne se ferment et je soupirai, reprenant mon ordinateur.
J'avais un gros défaut : j'étais curieuse. Et cette curiosité était presque incontrôlable quand il s'agissait de mon frère. Nous étions si liés que je ne supportais pas ne pas connaître toute sa vie. Ordinairement, je n'avais pas besoin de fouiner pour obtenir ce que je voulais, puisque nous nous disions presque tout.
Et pourtant aujourd'hui, il avait invité un ami que je ne connaissais pas, sans même me le présenter. Je mourrais d'envie de rencontrer cet « ami ». Et surtout, il fallait absolument que je sache qui il était, ce qu'il voulait. On n'était jamais trop prudent.
Alors, après une heure de lutte pour me distraire, je reposai mon appareil et me levai de mon lit. J'ouvris ma porte sans un bruit et collai mon oreille à celle de mon frère. Je n'entendais rien hormis sa chaise de bureau qui roulait sur le parquet.
Finalement je décidai d'y aller franchement et toquai avant d'ouvrir. Je passai seulement mon visage dans l'encadrure de la porte, un sourire innocent soigneusement peint sur le visage.
— Tout va bien ici ? demandai-je.
— Salut Alice, me lança ironiquement Ange. C'est gentil de t'inquiéter, mais tout va bien.
— Tant mieux. Qu'est-ce que vous faites ?
— On discute.
Son ton était un peu mordant et il n'arrêtait pas de me faire des signes pour que je m'en aille. Je continuai de sourire et m'avançai, reportant toute mon attention sur notre invité.
A première vue, il était plutôt mignon. Je ne savais pas pourquoi il était assis par terre alors que le lit d'Ange débordait de coussins, mais je ne fis pas de remarque et m'installai en tailleur à ses côtés.
— Salut, je suis Alice, la sœur jumelle d'Ange.
— Salut. Je m'appelle Gabriel. Je suis désolé de venir sans prévenir, mais Ange m'a invité au dernier moment.
Il parlait si poliment qu'il me désarçonna un peu. Je le vis jeter plusieurs fois à mon frère un regard incertain. Peut-être les dérangeai-je vraiment ?
— Bon, Alice, c'est pas que j'ai envie de te virer, mais on doit bosser, intervint Ange après avoir effectué plusieurs tours sur sa chaise.
— Hm, tu veux juste garder Gabriel pour toi tout seul, boudai-je, m'attirant ses foudres.
— Allez, va-t-en.
Je voulus insister mais me contentai de soupirer. Je fis un signe de la main à Gabriel, qui me répondit par un sourire d'excuse, et quittai la chambre. Je ne pus empêcher un immense sourire malicieux de prendre place sur mon visage. J'adorais suivre les histoires d'amour d'Ange.
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Grandiose
General FictionUn jour ou l'autre, nous avons tous vingt ans. Vingt ans. C'est l'âge où l'on ne peut plus prétendre à l'enfance, même si l'on en crève d'envie. C'est l'âge où tout semble plus simple, et où pourtant tout est plus compliqué. Vingt ans c'est l'âge d...