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Avec du retard, voilà le chapitre de vendredi ! 


31.12 : Sae


— Tu appelles si quoi que ce soit ne va pas, d'accord ma puce ?

— Oui maman, je sais...

Ma mère m'embrassa une énième fois et rejoignit enfin mon père en bas de notre immeuble. Je les regardai partir, soulagée. C'était la première fois que nous allions fêter le nouvel an séparément, et si mes parents étaient complètement flippés, moi j'étais impatiente.

Ada devait arriver dans une dizaine de minutes. La semaine dernière elle avait obtenu son permis et ses grands-parents lui avaient fait cadeau d'une voiture. Bon, c'était une twingo qui n'envoyait pas du rêve, mais tout de même.

Je profitai du temps qu'il me restait pour vérifier mon maquillage. J'avais, pour l'occasion, sortis ma petite sacoche qui contenait le peu de produits que je possédais, mais que je n'utilisais jamais. Ça m'avait bien pris une heure pour obtenir un rendu potable : un trait d'eyeliner fin, surmonté d'un fard à paupières pailleté, et des lèvres peintes de rouge. Je ne me reconnaissais pas, mais j'étais assez fière du résultat.

M'observant dans le miroir, j'avisai la petite robe que j'avais enfilé. J'avais utilisé une partie de mes économies pour m'offrir ma première robe de soirée. D'une belle couleur bleu ciel, la jupe doublée de volants en tulle s'évasait et le haut, en bustier, offrait un effet satiné. J'étais assez contente de cette robe, même si l'idée de la porter en public m'embarrassait. Je n'avais jamais rien porté d'aussi court, et ma mère, quand elle m'avait vu dedans la première fois, avait failli faire une syncope. J'aurais cru que, de mes deux parents, mon père aurait été le plus conservateur. Après le premier choc, ma mère avait approuvé ma tenue, soutenant qu'elle m'allait à merveilles.

Depuis, j'avais attendu le 31 décembre avec impatience.

Je refermai tout juste la porte de l'appartement quand Ada m'appela. Je lui écrivis que je descendais et la trouvai garée juste devant l'entrée. Je me dépêchai de monter, lui fit la bise, le rouge aux joues. Elle m'observa des pieds à la tête mais son visage resta parfaitement impassible. Sans même avoir attendu quoi que ce soit, je fus déçue.

— Ça va, princesse ? Prête pour la meilleure soirée de ta vie ?

— Ça va. Tu m'expliques le programme ?

— D'abord on va retrouver tout le monde chez Ange et Alice. Ensuite, on va en boîte. Tu as pris des boissons ou à bouffer ?

— Je pensais avoir le temps de faire des courses aujourd'hui, mais je n'ai pas pu...

— Pas grave, je partage mon butin avec toi.

Je la remerciai, embarrassée. La dernière chose que je souhaitais, c'était d'avoir l'air d'une radine. J'avais réellement eu un imprévu cet après-midi, à savoir un appel vidéo avec toute ma famille japonaise, dont personne ne m'avait tenu au courant. Impossible de m'éclipser.

Ada démarra en trombe et je m'accrochai à la poignée. Je ne pouvais pas dire si elle conduisait mal, mais en tout cas sa conduite était énergique. Nous arrivâmes en un temps records.

L'immeuble des enfants Weber donnait sur un petit parking privé, déjà plein à craquer de voitures. Je me demandai combien d'entre elles appartenaient à notre groupe. Il ne me semblait pas que beaucoup d'entre eux conduisaient.

— On est pas les dernières, mais il y a déjà du monde, commenta Ada en fixant son téléphone.

Ange et Alice vivaient dans un appartement du quatrième étage qui leur était prêté par une amie de la famille. Du couloir, on pouvait déjà entre les rires et le brouhaha ambiant.

— Salut les filles, entrez, entrez !

Ange nous ouvrit le sourire aux lèvres. Il avait enfilé une chemise blanche et un pantalon droit qui lui allaient comme un gant et lui donnaient une allure de dandy. Je lui fis remarquer que ça lui allait à ravir et il me prit dans ses bras si soudainement que j'en fus très embarrassée. Mais je constatai vite que tout le monde ici était très tactile et intime, et Ange m'avait déjà confié à quel point il m'appréciait.

On nous invita à ranger nos affaires dans la chambre d'amis, où s'entassaient déjà manteaux et sacs. Dans le salon, le canapé, les fauteuils et le bar de la cuisine étaient pris d'assauts. Contrairement à Ada, je me fis un devoir de saluer tout le monde, même s'il y en avait que je ne connaissais pas. Alexandre, qui avait lui aussi fait un effort vestimentaire en enfilant une chemise vert émeraude, me présenta sa cousine Leïla, restée à Lyon pour les fêtes. Je rencontrai Alice, la sœur d'Ange dont j'avais seulement entendu parler, et sa meilleure amie Laura. Elle me serra la main avec une énergie surprenante et je faillis rougir de ses compliments sur ma robe.

Vint ensuite Gabriel, moins exubérant mais tiré à quatre épingles, que j'appréciais pour son calme. Il me proposa à boire et à manger, me fit même visiter alors que tout le monde était déjà retourné à ses discussions. Il me tendit une bière et un bol de chips.

— Merci.

— De rien. Tu es ravissante.

— Tu trouves ? Tout le monde me le dit, mais je suis un peu embarrassée dans cette robe. Ce n'est pas ce que je porte d'habitude.

Mon regard chercha Ada, qui était affalée dans le canapé à côté d'Alexandre. De ce que je savais, ils se détestaient, mais on les voyait souvent ensemble et je trouvais ça amusant.

— J'espère qu'Ada ne t'a pas trop forcé la main. Elle a tendance à mener les gens à la baguette.

J'étouffai un rire et trinquai avec Gabriel. Je voyais ce qu'il voulait dire, mais ça ne me dérangeait pas. Ada ne m'avait jamais forcé à quoi que ce soit, au contraire, elle m'aidait beaucoup. Sans elle, j'aurai passé le nouvel an seule chez moi, où alors à une fête auxquels mes parents étaient invités, et où je me serai ennuyé.

Alice délaissa Alexandre pour nous rejoindre. Elle était sublime dans sa robe d'un rouge profond, et ses cheveux étaient relevés en queue de cheval. Je me sentis ridicule dans ma petite robe, mais elle chassa toute pensée sombre en liant son bras au mien.

— Pas trop intimidée ? me demanda-t-elle.

— Je suis pas une habituée des soirées, mais ça va.

Elle me sourit, s'accouda au bar en sirotant son verre. De là où nous étions, nous avions une vue imprenable sur tout le salon. J'eus soudain l'impression qu'une vitre nous séparait et que je regardais ce petit monde évoluer sans moi.

— On m'a dit que tu venais tout droit du Japon, mais tu n'as pas d'accent, fit remarquer Alice.

J'avais l'habitude qu'on me dise ça. Ceux que je rencontrais étaient toujours très intéressés par mes origines. Je m'étais habituée à ce genre de questions et ça ne me dérangeait pas. J'étais assez contente de mon histoire originale.

— C'est parce que seul mon père est japonais. Il a rencontré ma mère en France et ils sont partis vivre au Japon, où je suis née. Ma mère me parle français depuis que je suis petite alors je suis bilingue.

— Ça devait être dur pour ta mère, de vivre au Japon.

— Au début, pas tellement. Elle m'a expliqué que ce pays la fascinait depuis longtemps, et y aller l'a beaucoup aidé à se renouveler, professionnellement parlant.

— Qu'est-ce qu'elle fait comme travail ?

Alice était pendue à mes lèvres et je tendis la main pour attraper une poignée de chips avant de poursuivre :

— Elle est romancière. Beaucoup de ses livres se passent au Japon. Elle a sorti un nouveau roman il n'y a pas longtemps, d'ailleurs.

La blonde se figea et je me demandai ce qui, dans ma réponse, l'avait perturbée.

— Attends, est-ce que ta mère s'appelle Claire Ueno ?

— Oui. Comment tu sais ? Tu as lu ses livres ?

— Oui ! Enfin, je veux dire, j'adore vraiment ce qu'elle écrit. J'en ai parlé il n'y a pas longtemps avec la sœur de Gabriel.

Nous sourîmes toutes les deux, fières de notre découverte. Je savais que les livres de ma mère se vendaient bien, mais c'était la première fois que je rencontrais quelqu'un de mon âge qui la lisait.

D'aussi loin que je me souvenais, ma mère avait toujours écrit des romans. Mais ni mon père ni moi n'avions pu en lire un seul : elle soutenait qu'ils étaient trop intimes pour elle, ils révélaient une facette d'elle que l'on ne devait pas connaître. Nous avions toujours respecté ce petit jardin secret qu'elle ne montrait qu'aux inconnus. Mais, alors qu'une fervente lectrice se trouvait devant moi, la tentation de lui demander de quoi ils parlaient était forte. Je tins bon, cependant.

Plus tard dans la soirée, je m'éclipsais pour aller aux toilettes. J'avais beaucoup bu, plus que d'habitude et je voulais m'isoler un peu dans la salle de bain. J'ouvris une porte, tombai nez à nez avec Ange et Gabriel qui étaient... occupés.

— Sae !

Le cri outré de Gabriel me fit rougir et je me confondis en excuse en refermant derrière moi. J'entendis tout juste le rire hilare d'Ange quand je découvrais enfin la salle de bain et que je m'assis sur les toilettes. J'avais la tête qui tournait un peu et si je buvais une gorgée de plus, j'allais vomir.

Je me sentais bien, hormis ce détail. Un grand sourire ne quittait plus mon visage et je m'étais beaucoup rapprochée de tout le monde. C'était une bonne soirée.

— Sae ? Princesse, t'es là ?

C'était Ada. Je l'appelai, la voix enrayée d'avoir trop ris, trop crié. Et dire que le gros de la soirée n'avait même pas débuté !

Elle entra et se pencha vers moi, inspectant mon visage. Mais j'allais bien et je chassai ses doigts.

— Eh bah, t'es éméchée. Les autres sont en train de se mettre en route, mais je pense que nous allons attendre un peu.

— Quoi ? Mais nooon, allons-y.

— Si tu as le tournis et des nausées, tu ne mets pas un pied en boîte.

Je grognai, pour la forme, mais j'avais conscience qu'elle avait raison. Ada m'aida à me relever et nous finîmes sur le canapé. Tout le monde autour de nous s'activait, Alice et Gabriel s'inquiétèrent pour moi.

— Vous inquiétez pas, on attend qu'elle décuve un peu et on vous rejoint.

Alice m'apporta tout de même un verre d'eau avant de partir et je la remerciai. Quand le silence s'installa dans l'appartement, je retins un soupir de soulagement. J'étais affalée, appuyée contre Ada et ma tête dodelinait un peu.

— Merci de m'avoir invitée, Ada.

— De rien.

Mon portable vibra et je lus avec difficulté le message de ma mère, me demandant si tout se passait bien. Je laissai tomber l'appareil à côté de moi, sans répondre. Je n'avais pas envie de penser à mes parents, seulement à Ada, sa main sur mon épaule, cette soirée et ce qui viendrait ensuite. 



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