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18.09 : Alice

Je vivais avec ma famille dans ce que mon père appelait la « villa de ses rêves ». Je ne considérais pas cette maison comme la mienne. Nous nous sentions tous comme des locataires, prêts à se faire expulser pour la plus petite faute.

Quand je rentrai, vers seize heures trente, je trouvai mon père dans le salon, comme d'habitude lorsqu'il n'était pas dans son bureau, et ma mère dans la cuisine occupée à je ne savais quoi. Je l'embrassai d'abord, ne me privant pas de lui témoigner mon affection, puis salua mon père, à bonne distance.

Je ne supportais pas d'entrer en contact avec lui, il le savait mais ne disait rien. Il prétendait l'innocence par un grand sourire et des formalités.

— Ange ? appelai-je en toquant à la porte de mon frère.

Un « oui » étouffé me parvint et j'ouvris la porte le plus silencieusement possible.

— Salut, lui murmurai-je en souriant. Ça a été les cours ?

— Hello Alice, me répondit-il sans quitter des yeux l'écran de son téléphone.

Le voir si absorbé m'intrigua et j'entrai en refermant la porte derrière moi. Je viens m'asseoir sur son lit à ses côtés et observai ses traits sérieux tandis qu'il tapait quelque chose.

— Qu'est-ce que tu fais ? demandai-je en me penchant vers lui pour apercevoir son écran.

Il sembla enfin capter ma présence et éloigna son portable en soufflant.

— Ça te regarde pas, rétorqua-t-il.

— Quoi, je n'ai pas le droit de savoir quand mon frère drague ? Ou alors c'est toujours le même ? Comment il s'appelait... Arthur ?

— Jules, me corrigea-t-il. Il m'a largué il y a trois semaines je te rappelle.

— Ah oui, c'est vrai. Donc c'est une nouvelle conquête ?

Il ne se formalisa pas de mon sourire mutin, mais le soupir qui s'échappa de ses lèvres m'indiqua que ça ne se passait pas forcément bien.

— J'aimerais bien, me confia-t-il, mais il joue à l'autruche. J'ai essayé de le contacter par à peu près tous les moyens possibles mais il n'a jamais répondu et... je sais pas, j'ai très envie d'apprendre à le connaître, mais je n'ai pas envie de le forcer.

— C'est quelqu'un de ta prépa ?

— Oui. On est dans la même promo, mais pas la même classe. Quand je le croise il fait comme si on ne se connaissait pas. Le souci c'est que je n'arrive pas à savoir s'il se souvient plus de moi, ou s'il veut simplement m'éviter.

Je méditai ses paroles, plutôt surprise. Mon frère était un véritable cœur d'artichaut, mais incapable de conserver une relation sur le long terme. Le voir si concerné par un garçon avec qui il avait couché une fois ne le ressemblait pas car il savait quand abandonner une bataille.

Visiblement, il tenait à la victoire cette fois-ci.

— Tu devrais peut-être essayer une autre approche, proposai-je. Je ne sais pas, trouve un moyen d'entrer dans son petit groupe d'amis ? Fait en sorte de créer des rencontres par « hasard ».

— Monsieur est ami avec absolument tout le monde, grinça-t-il. A chaque fois que je le vois il est avec des personnes différentes, et il a la même attitude avec tout le monde. Quand je demande des infos sur lui tout ce qu'on me dit c'est : « Oh, Gabriel ? Il est très sympa, très amical. » Eh bah visiblement il n'est pas amical qu'avec moi.

Je ne pus m'empêcher de glousser un peu et détournai les yeux lorsqu'il me lança un regard de reproche.

Malheureusement pour Ange, je n'avais pas beaucoup de conseils à lui donner. Moi-même je n'étais pas très investie dans ma vie amoureuse mais surtout, j'étais bien moins courageuse : jamais je ne pourrais sortir avec quelqu'un que mon père désapprouverait en cachette. S'il apprenait qu'Ange couchait avec des hommes, c'en était fini de mon frère. Alors je ne risquais pas de tenter l'expérience.

Puisque c'était le sujet, je songeai à Alexandre. Je n'étais pas très douée pour la drague, mais je me doutais qu'il avait fait une tentative. J'essayai de m'imaginer en couple avec un garçon comme lui : probablement d'une famille modeste, avec des origines africaines... Malgré moi, je visualisai un baiser avec lui, et sentis mes joues chauffer.

Peut-être me plaisait-il vraiment. Peut-être avais-je envie, secrètement, de suivre mes envies. Mais sortir avec quelqu'un comme lui était impossible, à cause de mon homophobe, raciste et élitiste de père. Alors je chassais Alexandre hors de mon esprit, à regret. De toute façon je l'avais rencontré une fois, par hasard.

Il valait mieux que j'abandonne l'idée d'un petit-copain et me concentre sur mes études.

— Alice ? Ça va ?

— Hein ? Ah, oui oui !

— Rien de nouveau de ton côté ?

— Rien à part mes cours qui sont fatigants et super durs. Mais ça va, je tiens le rythme, le rassurai-je d'un sourire.

— Les parents ne sont pas là ce soir. Je compte sur toi pour nous cuisiner quelque chose.

— Compte sur moi, lui répondis-je en souriant.

GrandioseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant