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23.09 : Gabriel

J'étais assis dans l'une des salles de la BU lorsque je m'autorisai enfin à prendre un cachet de Sirolax. J'avais tenu toute la journée sans, mais la discussion avec Alexandre et la question « Ange » qui n'était toujours pas résolue, je n'arrivais plus à penser correctement. Ada arriva au moment où j'avalai mon cachet et elle me gratifia d'un regard lourd de reproches.

— Ce n'est pas parce que ton médecin t'as fait une ordonnance renouvelable à vie que tu es dispensé d'apprendre à t'en passer, me lâcha-t-elle en guise de salut.

— Bonjour à toi aussi, lui répondis-je en forçant à sourire.

Mon amie roula des yeux et s'installa en face de moi. Je l'observai faire, absolument pas perturbé par son attitude. Ada avait toujours été assez agressive et abrupte dans sa façon d'être, et j'étais l'une des rares personnes à comprendre vraiment sa façon de fonctionner.

Je connaissais Ada depuis que nous étions nés, puisque nous partagions la même date de naissance. Nos parents s'étaient rencontrés à la maternité et depuis, nos deux familles étaient inséparables.

— J'ai vu l'autre plumeau de loin en arrivant. Il avait l'air de draguer une petite bourgeoise.

Je faillis m'étouffer de surprise, avant de progressivement comprendre. Ada m'avait affirmé un jour que les insultes liées aux origines étaient interdites aux blancs hétéronormés et cisgenre, mais qu'elle avait parfaitement le droit de se payer la tête d'un autre africain. C'était un peu comme la règle du « tu peux te moquer des homosexuels seulement si tu es toi aussi homosexuel ». En bref, la différence entre le racisme et l'auto-dérision était primordiale, et je n'avais pas mon mot à dire là-dessus.

— Tout de même, parler de plumeau avec ce que t'as sur la tête... commentai-je.

— Quoi, tu compares son plumeau à mes magnifiques tresses ? Chevalier, je t'interdis de juger une journée complète de travail douloureux alors que tout ce que tu fais le matin c'est enlever un épi pathétique.

— Faut bien un avantage à être un homme hétéro blanc cisgenre.

Mon amie claqua sa langue sur son palet et alluma son ordinateur portable. Je l'avais rejointe dans le but de travailler un peu hors de chez moi, mais il fallait bien avouer que je n'étais pas dans le meilleur état mental pour être productif cet après-midi.

Tandis qu'Ada se plongeait dans ses cours, je reconsultai mes messages et tombai à nouveau sur ma conversation avec Ange. Je n'étais pas certain de la façon dont je devais aborder la situation. D'accord, il m'avait envoyé un lien pour des cours de théâtre. Peut-être que c'était simplement pour soutenir une personne qu'il connaissait. Peut-être qu'il avait simplement envoyé se lien à tous ses amis Facebook. « Ou peut-être qu'il n'en a pas eu assez de la dernière fois et que c'est une façon subtile de te dire qu'il aimerait te salir à nouveau. »

O.K, Monty, tais-toi.

Je grimaçai et éloignai mon téléphone, prenant la décision de justement remettre la décision à plus tard.

— Un problème ? me demanda Ada, sans me jeter un regard.

— Euh... non, rien de particulier. Pourquoi ?

— Tu viens d'hésiter et tu oses faire comme si de rien n'était. Crache le morceau.

— Seulement si tu me promets de ne pas en faire toute une histoire.

— Promis juré.

— J'ai peut-être bien couché avec un mec pendant la soirée d'inté qui est peut-être bien dans ma promo et qui depuis essaie de se rapprocher de moi alors que je fais tout pour l'éviter.

J'avais tout sorti d'une traite pour éviter de me débiner. Ada arrêta un instant de taper sur son clavier, puis elle éteignit son ordinateur et je sus que j'avais, malheureusement, toute son attention.

— D'accord. Et tu attends de moi que je n'en fasse pas « toute une histoire » ?

— Si possible ? répondis-je en grimaçant.

— Gabriel Chevalier tu vas tout me raconter depuis le début.

C'aurait été mentir de prétendre que j'aurais aimé garder le secret. Ada était ma confidente de toujours : je ne lui cachais rien, en partie parce que je ne le voulais pas, mais surtout parce que je ne pouvais pas. Elle me connaissait par cœur. Elle connaissait mon parcours avec les médicaments, les psychologues, ma scolarité chaotique, tout ce qui faisait de moi le garçon que j'étais aujourd'hui.

Résigné, je lui fis le récit de cette soirée que je tenais pour catastrophique. 

GrandioseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant