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28.09 : Ada

J'avais envie de mourir. La petite séance de travail groupé de cet après-midi avait été un véritable fiasco. Faute de parvenir à s'entendre, nous nous étions fait viré de la BU pour cause de « tapage incessant ». Madeleine, une espèce de peste aux cheveux décolorés m'avait alors accusé de tyrannie et je lui avais ri au nez.

Je savais que cet exposé était une mauvaise idée. Notre groupe était formé par trois élèves qui n'avaient pas trouvé d'amis avec qui travailler, autrement dit : nous ne nous connaissions pas. Si Madeleine m'avait tout de suite faite mauvaise impression, j'avais pourtant eu espoir qu'Aurélie vienne rééquilibrer la balance.

Or, la petite brune s'était révélée incapable de prendre la moindre décision, ou même de faire quoi que ce soit seule. Je ne savais pas si c'était de confiance en elle qu'elle manquait mais je n'étais pas psychologue, et certainement pas là pour lui tenir la main.

Bien que nous fussions contraintes de partir plus tôt nous parvînmes à nous mettre d'accord, Madeleine et moi, sur les bases de notre exposé. Aurélie avait acquiescé à toutes nos idées et désormais il ne restait plus que le travail personnel à réaliser – Dieu soit loué.

J'étais rentrée chez moi de mauvaise humeur pour retrouver un studio vide et froid. Et puisque je ne m'avais ces temps-ci personne pour m'enlacer, je passai le début de soirée seule sur mon canapé, engoncée dans un survêtement.

J'aurais probablement appelé Gabriel si je ne savais pas qu'il avait un rendez-vous. Quelle n'avait pas été ma surprise alors de recevoir son appel, appel que j'avais failli rater parce que je m'étais assoupie.

Il ne m'avait pas fallu beaucoup pour comprendre ce qu'il se passait et je m'étais immédiatement mise en route. Je ne connaissais pas cet Ange et je n'avais confiance en lui pour prendre soin de mon meilleur ami. Et je me doutais que Gabriel n'aimerait pas mettre ses parents au courant. Alors je récupérai l'adresse et m'y rendit en bus.

Malgré l'agitation du garçon que j'avais eu au téléphone, je n'étais pas particulièrement inquiète. Je connaissais Gabriel depuis notre naissance : je savais ce qui pouvait déclencher une crise. Et j'avais vu sa consommation de médicament augmenter drastiquement ses derniers temps...

En arrivant au bar, il me fallut me frayer un chemin par des coups de coudes tant la foule était dense et déchaînée. L'établissement avait l'air de se prendre pour une boîte de nuit. En remarquant l'escalier, je devinai que ma cible se trouvait à l'étage ; au calme et loin des regards. Je me dépêchai de monter en ignorant les regards méfiants du barman.

Je ne fus pas étonnée de trouver Gabriel assis au sol, genoux repliés. Il ne bougeait pas, et je supposai qu'il avait déjà pris cette saleté qu'on lui prescrivait et qui l'abrutissait. Je notai également la présence du fameux Ange, assis près de lui.

Eh bien, le bougre avait le mérité d'être resté.

— C'est bon, je m'occupe de lui, lui indiquai-je en m'accroupissant.

Ange s'écarta pour me laisser de l'espace et je scrutai le visage de mon meilleur ami, à la recherche de son regard. Il n'avait pas fait de malaise, chose très positive, mais ses yeux étaient éteints, fatigués, et rougies par les larmes. Je me mordis la lèvre, le cœur serré de le voir dans cet état.

Depuis le temps, j'en avais assisté, à des crises. Pourtant, je ne m'y habituais jamais. J'apprenais juste à agir en conséquence. Gabriel n'aimait pas inquiéter ses parents pour « si peu », et puisque j'étais incapable de l'abandonner, je l'aidais.

— Comment il va ? me demanda Ange.

— Il est juste shooté. Je vais le ramener chez moi, merci d'avoir appelé...

— Je vais t'aider à le porter, proposa-t-il, et je tiquai.

— J'ai pas besoin de ton aide. Gabriel est plus en sécurité avec moi qu'avec toi.

Je ne sus pas si mes paroles le blessèrent mais il sembla hésiter. Je me détournai, aidant le brun à se relever doucement, persuadée qu'il n'insisterait pas.

— S'il te plaît, Ada. C'est sûrement de ma faute s'il est dans cet état, alors...

— Ecoute, lâche l'affaire. On sait tous les deux très bien que maintenant que tu l'as vu comme ça, tu vas laisser tomber. Personne ne veut d'un névrosé. Alors laisse-moi gérer, j'ai l'habitude, lui répliquai-je cassante.

Une fois mon ami debout je passai une main dans son dos et plaçai son bras en travers de mes épaules. Alors que je commençai à marcher vers l'escalier, je sentis le poids de Gabriel m'être enlevé, et jetai un regard incendiaire vers Ange. Celui-ci m'ignora et hissa le brun sur son dos.

Gabriel grogna vaguement mais croisa tout de même ses jambes de phasme autour des hanches du blond. Le voir s'accrocher à lui de cette façon me fit grimacer et je suivis à contrecœur Ange dans l'escalier. Celui-ci, pour éviter de tomber, le descendit sur le côté et je ne privai pas de me moquer de sa démarche de crabe ridicule.

Il nous fallut reprendre le bus pour rentrer et je dus avouer que ne pas avoir à porter Gabriel jusqu'à mon studio me soulagea. Je n'étais pas physiquement faible, loin de là, mais pour une fois j'acceptai de subir le sexisme ordinaire en laissant l'homme me prouver sa virilité par la force.

Une fois Gabriel installé dans mon lit, je vérifiai un peu son état et lui murmurai quelques mots de réconfort. Il avait recommencé à pleurer comme un bébé, et m'avait brisé un peu plus le cœur au passage. Une fois apaisé, j'embrassai son front et quittai la chambre. Le remède à tous les maux, c'était le sommeil.

Je retrouvai Ange assis sur mon sofa, les mains nerveusement posées sur ses genoux.

— Comment va-t-il ? me demanda-t-il immédiatement et je roulai des yeux.

— Il dort, répondis-je seulement en m'affalant à ses côtés, une bouteille de bière dans la main. Je ne pensais pas pouvoir dormir cette nuit. 

GrandioseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant