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14.09 : Ange

J'ouvris la porte de chez moi, une boule d'appréhension dans le ventre. Par habitude, j'essayai d'être le plus silencieux possible. Bien sûr, ça ne fonctionna pas : le parquet grinçant me trahit immédiatement et la voix de stentor de mon père s'éleva de la cuisine, me faisant frissonner.

— C'est à cette heure-là que tu rentres ?

Je sursautai et esquissai une grimace. Mon père détestait lorsque je ne dormais pas à la maison. Résolu, je le rejoignis dans la cuisine, où ma mère préparait à manger. Surpris, je croisai le regard de ma sœur, attablée, son téléphone en main. Au vu de ses vêtements, elle s'apprêtait à sortir.

— Je croyais que tu devais seulement aller à une soirée, commença mon père. Midi est passé, Ange.

— Je suis désolé de ne pas avoir prévenu. J'ai dormi chez un ami et je suis resté travailler un peu avec lui ensuite... répondis-je en m'asseyant à mon tour.

La table était déjà mise et je me félicitai d'être arrivé avant le déjeuner : mon père ne supportait pas que l'on rate un repas sans prévenir. En observant la situation, j'échangeai un petit sourire avec Alice, puis celle-ci se leva.

— Je vais y aller, Eloise doit déjà m'attendre. A plus tard.

Elle embrassa tour à tour maman, papa, puis m'offrit une longue étreinte. Je la regardai partir, le cœur serré de savoir que maintenant, j'étais seul contre lui.

— Et cette soirée de révision ? Comment s'est-elle passée ? me demanda mon père, justement.

Bien entendu, je ne lui avais rien dit concernant cette « soirée d'intégration des nouveaux élèves ». Sinon, jamais je n'aurais pu y aller.

— Plutôt bien. J'ai pu faire connaissance avec d'autres élèves...

— Tu as une fille en vue ? me questionna-t-il immédiatement, en souriant.

— Eh bien... peut-être, répondis-je en feignant de rentrer dans son jeu. Elle me plaît beaucoup. »

Je me gardai bien de lui confier que son genre n'était pas féminin, et qu'il a fait bien plus que simplement me « plaire ». Mon père se gaussait de la situation, fier de son fiston, et cette attitude me dégoûtait profondément.

En songeant à ma rencontre de la nuit dernière, je ne pus m'empêcher de sourire. Gabriel Chevalier m'avait déjà pas mal attiré lorsque je l'avais vu le jour de la rentrée, et j'avais été aux anges lorsqu'il m'avait rendu mes attentions, hier soir. Je ne savais pas encore ce que j'espérais de cette relation, et j'avais été un peu déçu de trouver le lit vide ce matin mais... ça avait été une belle expérience.

— Tu as dormi chez qui, déjà ?

Je profitai du plat qui fut déposé sur la table par ma mère pour rester silencieux, le temps de me servir. Je savais ce qu'essayait de faire mon père ; me piéger. Mais j'étais habitué et surentraîné.

— Chez Paul, papa. Je t'ai déjà parlé de lui, tu sais ? Il est en deuxième année, c'est mon « parrain ».

— De mon temps aussi, nous avions des parrains. Je suis ravi de voir que la tradition se perpétue.

— Moi aussi.

Comment lui expliquer que Paul ne serait pas le guide spirituel qu'il espérait ? Non, Paul était un ami qui m'avait gracieusement prêté une chambre dans son appartement immense que lui louaient ses parents. Il connaissait ma situation, enfin seulement dans les grandes lignes. C'était chez lui que Gabriel et moi avions dormi.

Ma mère ne dit pas un mot de tout le repas. Elle n'aimait pas beaucoup intervenir lorsque papa menait ses interrogatoires et je la comprenais. Mais parfois, j'aurais aimé qu'elle me pose des questions qui n'avaient pas pour but de me faire tomber. Qu'elle me témoigne une attention innocente.

Dans cette maison, chaque conversation était un combat.

Quand j'eus terminé, je débarrassai mon assiette et aidait ma mère à laver la vaisselle, puis me retirai à l'étage, dans ma chambre. Mon père n'y venait pas souvent, il disait qu'un homme avait besoin de sa vie privée pour se construire. Par contre, il ne se gênait jamais pour pénétrer dans celle de ma sœur, qu'elle le sache ou non. Cette conduite me révoltait, et je me faisais toujours un devoir de surveiller la chambre d'Alice quand elle n'était pas là.

Ma sœur me disait souvent de ne pas m'en occuper, mais la façon dont notre père la traitait était absolument injuste et je faisais toujours mon possible pour la soutenir.

Une fois ma porte fermée, je pris le temps de souffler un peu et récupérai mon ordinateur portable pour m'installer sur mon lit. Nous avions un quota d'heures passées sur les écrans, même si nous avions tous les deux vingt ans. Je n'avais pas encore entamé le mien aujourd'hui.

Jetant un œil à mes réseaux sociaux, je me retrouvai bientôt à chercher ceux de Gabriel. Je n'eus pas beaucoup de mal à trouver la plupart de ses comptes, mais ne m'abonnai pas à chacun d'eux – je ne tenais pas à passer pour un dangereux psychopathe.

Alors que j'admirais une photo de mon beau brun, je reçus un appel d'Alice. Immédiatement je décrochai, vérifiant bien que ma porte était fermée. 

GrandioseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant