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25.09 : Ada

Je n'avais pas adressé la parole à Gabriel depuis notre conversation de lundi. J'étais plus que fatiguée de son attitude. L'abruti se persuadait depuis des années qu'il était le parfait petit hétérosexuel, alors qu'il ne l'était pas pour un sou. Mais j'avais beau le mettre face à la situation, lui fournir des preuves et assister à tous ses déboires, il ne voulait rien savoir.

L'accident avec Ange était une belle preuve, pourtant. Gabriel n'était pas du genre à avoir des aventures, encore moins après avoir bu. J'étais persuadée que ce qu'il vivait avec Ange était quelque chose qui lui ferait le plus grand bien.

Un klaxon de vélo me sortit de mes pensées et je me décalai juste à temps pour éviter un fou-furieux.

— Eh t'es pas au Tour de France, enculé ! lui hurlai-je.

Il ne fit même pas l'effort de s'excuser et se contenta de foncer droit devant lui. Je grommelai d'autres insultes puis repris ma route. J'avais fini les cours plus tôt, alors j'en profitais pour aller récupérer mes résultats au laboratoire. Je ne savais pas pourquoi je continuais d'espérer.

Mes grosses baskets raclaient le trottoir d'un pas traînant et au fur et à mesure que je me rapprochais de ma destination, une boule se forma dans mon ventre. Comme d'habitude je stressais. Pourtant, les résultats n'avaient pas pu changer depuis le mois dernier.

Je ne savais pas comment les gens du labo faisaient pour me supporter depuis un an. Ils pouvaient m'envoyer bouler pourtant, ils avaient fait leur boulot et ne pouvaient rien faire pour moi. Mais non, ils m'accueillaient toujours avec le sourire, et me donnaient toujours mes résultats avec le même regard aussi désolé que moi.

— Bonjour mademoiselle Maulnier, m'accueillit la secrétaire. Vous venez chercher vos résultats ?

— Oui.

— Allez attendre dans la salle, alors. Je vous les apporte au plus vite.

Je la remerciai sans pouvoir sourire et me rendit dans la salle d'attente. Elle était en général exclusivement composée de vieillards ou de mères avec leur enfant. Je m'installai sur une chaise à l'écart et sortit mon téléphone. Je ne me fatiguais plus à trouver un magazine que je n'avais pas lu, parce que la pile ne bougeait plus depuis des mois.

Finalement, après un quart d'heure d'attente, j'entendis la voix de la secrétaire qui m'appelait.

— Mademoiselle Maulnier.

Je me levai et rejoignit l'accueil. Elle me tendit la pochette avec mes résultats et je lui rendis son sourire. Fébrile, je parcourus les quelques feuilles. Quand les mots familiers arrivèrent devant mes yeux tout espoir s'effondra à nouveau et mes épaules s'affaissèrent.

Le regard que j'offris à la secrétaire fut assez éloquent et j'eus droit à l'habituel « je suis vraiment navrée ». Mais non, Karen, t'étais pas vraiment navrée, juste compatissante parce que c'était ton boulot. Sentant poindre l'agacement je refermai ma pochette, la fourrai dans mon sac et saluai les membres du personnel que je croisai en partant.

« Infertile »

J'accélérai le pas, combattant les larmes qui menaçaient de déborder.

« Ne pourra jamais avoir d'enfant. »

Je m'engouffrai dans un bus qui passait de justesse et en descendit deux arrêts plus tard, près de chez moi. Je n'habitais pas loin du centre-ville, où se trouvait le labo. Je composai le code de mon immeuble machinalement, grimpai les trois étages au lieu de prendre l'ascenseur, et quand je fus enfin dans mon petit studio, je me laissai aller aux larmes.

Je me souvenais du premier jour où j'avais reçu ce diagnostic. J'étais atteinte d'une insuffisance ovarienne prématurée. Autrement dit, je vivais une ménopause précoce. Les médecins m'avaient assuré que chez une femme sur deux, la production d'ovaires pouvait reprendre parfois bien plus tard, mais je n'avais jamais eu les probabilités de mon côté.

Je m'effondrai sur le lit et fondis en larmes. La tête enfoncée dans mon oreiller je me laissai aller à crier, serrant les draps entre mes doigts jusqu'à ce que mes jointures ne blanchissent.

Pendant un instant, j'hésitai à appeler Gabriel. Les infirmières me le disaient toujours : il fallait que je sois entourée. Mais je n'avais révélé mon diagnostic à personne, pas même à mes parents. Et Gabriel n'était pas exactement la personne idéale pour recevoir du soutien – il était déjà suffisamment obnubilé par ses problèmes.

Autre que Gabriel, je n'avais pas vraiment d'amis, seulement des connaissances. Il y avait bien Alexandre, mais je ne pouvais pas le voir en peinture, et c'était réciproque. Je savais qu'il faudrait bien que j'en parle à mes parents, un jour. Ils rêvaient d'avoir des petits enfants. Leur révéler ma bisexualité avait été un moment difficile, même s'ils m'avaient assuré que ça ne changeait rien à leurs yeux. Je ne voulais pas leur causer d'autres problèmes.

Une fois un peu calmée, je me levai et rangeai mes résultats dans le tiroir que je leur réservais. Ils rejoignirent la pile de pochette que j'accumulais depuis un an. Ce mois non plus, je n'avais pas eu mes règles. La constatation alourdit encore mon humeur et je décidai de migrer vers le petit sofa qui faisait face à ma télévision. 

GrandioseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant