Chapitre 13

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Il est tard et Carla travaille demain mais elle n'arrive pas à fermer l'œil. Un bref instant, elle envisage de se rhabiller et d'aller faire un tour dehors avec Max. L'appréhension la retient. Il s'en est fallu de peu qu'elle ne se soit retrouvée à la rue ce soir. Ressortir maintenant ressemble un peu trop à une façon de tenter le sort.

Etendue sur le divan de son bureau, seule, elle contemple sans les voir les lumières de la nuit par la fenêtre, envahie d'un intense sentiment de panique qui la fait vaciller jusqu'au plus profond de son être. Par sa faute, toute sa vie est en train de s'écrouler. Mais si elle-même s'écroule, elle qui portait tout l'édifice à bout de bras, qui donc viendra la relever ?

Lola saute sur la porte depuis l'extérieur pour l'ouvrir et entre de son pas élastique avant d'élire domicile contre Carla. Elle se lèche méticuleusement et tourne en rond un moment pour se faire une place avant de se coucher en boule et de se mettre à ronronner. Carla caresse la chatte, dont la chaleur animale et le ronron sont un vague réconfort. Lola au moins ne la déteste pas.

Vingt ans. Vingt ans de bons et loyaux services et il aura suffi de quelques heures pour que tout parte en vrille. Pour que plus personne ne l'écoute et qu'elle se retrouve dépossédée de sa propre vie. Tout cela en moins d'une journée.

Le regard que lui a lancé son fils quand il l'a aperçue avec Alice sur le seuil de son appartement l'a atteinte en plein coeur.

Incrédule. Thomas n'arrive littéralement pas à croire ce que ses yeux lui montrent. A réconcilier l'image de sa mère aimante et dévouée avec celle de la personne tant haïe qui lui a volé sa bien-aimée. Il n'arrive pas à croire que sa propre mère ait pu lui faire ça.

Soudain Thomas fait demi-tour et dévale l'escalier comme s'il avait le diable aux trousses. Carla sort de sa brève sidération pour se lancer aussitôt à sa poursuite, abandonnant Alice sans un mot ni un regard en arrière. Elle n'a même pas réfléchi à ce qu'elle compte faire une fois qu'elle l'aura rattrapé. Son travail de mère sans doute. Assurer à son fils qu'elle sera toujours là pour lui, que la situation n'est pas si terrible qu'il le pense, que le choc et la douleur passeront. Qu'il finira par comprendre, peut-être.

Mais avant même d'arriver en bas de l'escalier, elle entend la porte de l'immeuble claquer, et une fois dehors, Thomas a disparu, comme absorbé par la rue. Elle court un moment en tous sens entre les voitures et les passants, en vain. L'appelle sur son portable une fois, dix fois, trente fois, toujours en vain. Ce soir-là, il ne prévient pas, ne rentre pas pour manger. Il s'est juste volatilisé.

Il ne veut pas lui parler et Carla sent sa gorge se serrer à l'idée que son fils la déteste. Qu'il puisse ne jamais lui pardonner. Et pourtant. Mérite-t-elle seulement d'être pardonnée ? Que pourrait-elle bien lui dire en vérité qui ne serve pas avant tout à apaiser sa conscience coupable et à essayer de justifier l'injustifiable ?

Elle n'a pas agi en mère et maintenant Thomas a bien raison de lui en vouloir. Elle s'en veut aussi. Elle a fait passer son intérêt personnel avant celui de son enfant. Elle est impardonnable. Que pourrait-elle seulement faire pour se racheter ?

Malgré l'inquiétude qui monte, monte, monte, il faut bien assurer le quotidien, aller chercher Chloé au collège, la faire goûter. Sortir le chien. Essayer d'appeler Thomas une fois de plus. Faire les devoirs avec sa fille. Carla est en pilote automatique, la tête ailleurs.

― Tu ne m'écoutes pas, maman, finit par se plaindre la fillette. Qu'est-ce qu'il y a ?

― Rien, ma puce, soupire-t-elle. Donne-moi ton cahier, je vais te faire réciter ton vocabulaire.

Mais Chloé, absorbant inconsciemment l'anxiété maternelle, a du mal à se concentrer.

Celui qui rentre plus tôt que d'habitude, encore dans la tenue de chantier qu'il laisse en général au vestiaire de son entreprise, c'est Frédéric. Son mari est d'un tempérament calme et posé, c'est pourquoi quand il rentre en claquant violemment la porte, Max se dresse d'un bond au rez-de-chaussée et se met à aboyer. Mère et fille s'interrompent. Carla se lève.

Trop jeune pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant