Chapitre 20

1.7K 120 7
                                    

Juillet est une véritable lune de miel pour Alice et Carla car Chloé passe la première moitié des vacances d'été avec son père et en l'absence de la fillette, les deux femmes se retrouvent seules à la maison pour plusieurs semaines. Carla réserve ses congés pour le mois d'août lorsque sa fille sera de retour et Alice travaille toujours quelques heures par jour, mais pour la première fois de leur histoire, elles peuvent enfin goûter de longues plages ininterrompues de solitude à deux.

Il y a des dimanches et des lundis où rien ne les oblige à sortir du lit aussi longtemps qu'il leur plaît d'y rester.

Des jours et des nuits où aucune présence dans une chambre voisine ne les oblige à modérer leurs soupirs, leurs cris et leurs gémissements.

Des matins et des soirs où personne ne risque de les débusquer dans la salle de bain si elles décident de prendre leur douche à deux et oublient d'en sortir jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau chaude.

Des pique-niques au lit sous l'œil intéressé de la chatte Lola, toujours avide de grappiller quelque chose.

Des sorties en amoureuses au restaurant, au concert ou au cinéma.

Des soirées sur la terrasse où elles savourent la douceur estivale en se lisant mutuellement des passages de leurs livres préférés.

Des séances dans le salon de musique qui commencent en duo flûte-violoncelle et s'achèvent en enchevêtrement éperdu de corps nus sur le tapis.

De longues promenades dans la nature avec le chien Max en éclaireur, qui furète en larges cercles autour d'elles tandis qu'elles contemplent le paysage et parfois oublient de voir ce qui les entoure, occupées à se contempler l'une l'autre.

Après tant de mois de solitude et d'attente à ne pas vraiment vivre, Carla est de nouveau heureuse. Elle aime passionnément Alice, sa tranquille gentillesse, son tempérament optimiste et facile à vivre, son mélange de réserve et de hardiesse, sa jeune âme d'écrivain au style déjà affirmé et à l'œuvre encore balbutiante, sa sensualité, son corps magnifique tout en courbes qu'elle habite avec tant de grâce.

La seule ombre au tableau, c'est son âge à elle. Le quinze juillet, Carla fête ses quarante-quatre ans. Si cette année les feux d'artifices de la veille au soir ne semblent pas être de trop pour célébrer enfin l'épanouissement de sa relation avec Alice, s'il s'agit là peut-être de son plus bel anniversaire depuis longtemps, elle ne peut s'empêcher de se dire que malgré tout leur bonheur, le temps leur est compté.

Alice l'aime et la désire aujourd'hui, peut-être encore l'année prochaine et la suivante. Peut-être même encore quand Carla fêtera ses cinquante ans. Mais Alice n'a pas encore vingt-deux ans. Comment imaginer qu'elle la trouvera toujours désirable quand Carla aura franchi le cap des soixante ans ? A partir de quel âge sera-t-elle irrémédiablement trop vieille ? Quand sera-t-il vraiment trop égoïste de vouloir la garder encore à ses côtés ?

Contre le temps qui passe, il n'y a pas de remède. A défaut de pouvoir le suspendre pour conserver précieusement ce qu'elles ont à présent, tout ce que peut faire Carla, c'est essayer d'ignorer le compte à rebours fatal qui la verra vieillir et se décrépir un peu plus chaque jour tandis qu'Alice ne fera que s'épanouir davantage sur le chemin de la maturité, et tâcher de profiter au maximum de tout ce qui leur sera accordé, aussi longtemps que perdurera leur moment de grâce.

Lorsque Chloé rentre de ses vacances en Ardèche avec son père, grandie et la peau brunie comme la croûte d'un pain bien cuit, elle observe d'un air perplexe sa mère et Alice qui s'affairent côte à côte à préparer le repas dans la cuisine, évoluent fluidement l'une autour de l'autre en un ballet bien rodé et se passent les ustensiles presque sans un mot.

Trop jeune pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant