Chapitre 2

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Vingt ans. Alice a vingt ans et veut devenir écrivain. Derrière sa timidité qui s'estompe à mesure que les jours passent mais ressurgit parfois en bouffées inattendues, se cache une calme détermination. Et aussi un fond de réserve, qui n'est pas de la timidité mais autre chose de plus secret, de plus intrigant. Carla se dit que c'est peut-être bien ce mystère qui a séduit son fils.

La passion assumée d'Alice pour la littérature lui ouvre une voie royale dans le cœur de Carla, qui est bibliothécaire et qui chez elle ne peut guère compter que sur sa fille de onze ans pour partager son amour des livres. Son fils ne lit que des manuels de maths, des revues de sciences ou de jeux vidéo et quelques romans de science-fiction. Quant à son mari, il ne lit rien du tout qui ne soit pas strictement utilitaire.

― Maman a enfin trouvé quelqu'un avec qui discuter de bouquins ! souligne affectueusement Thomas, témoin des échanges de livres qui se mettent en place entre sa mère et sa petite amie et de leurs conversations enthousiastes au sujet de leurs lectures.

Il va sans dire que ni l'une ni l'autre n'est partie quatre semaines en vacances sans prendre de quoi lire. Elles ont donc matière à échanger.

― Et c'est grâce à toi, mon chéri ! souligne Carla, rieuse, en faisant mine de l'engouffrer dans un gros câlin qui le fait aussitôt battre en retraite.

Il a hélas passé depuis longtemps l'âge des câlins. La reprise d'un échange animé avec Alice sur les mérites stylistiques de Colette achève de le faire fuir tandis que Chloé, encore un peu jeune pour tout comprendre, les écoute cependant avec intérêt.

Cet été, mine de rien, la présence d'Alice change les choses parmi eux. Une impulsion nouvelle semble secouer la routine habituelle de leurs vacances. Dès le premier soir, Alice entraîne insensiblement Thomas à débarrasser la table avec elle et l'assigne à la vaisselle sans même qu'il s'en aperçoive.

Les échanges littéraires entre Alice et Carla, eux, ne passent pas inaperçus. Les deux femmes tentent bien d'y faire participer Frédéric et Thomas mais ceux-ci, peu motivés, optent pour la pêche pendant le club de lecture de ces dames. Du coup, la truite est régulièrement au menu.

J'aime la pêche, oui c'est mon passe-temps préféré ! J'aime la pêche, ça me permet de tout oublier, chantonne Alice avec humour d'une jolie voix de soprano.

Carla ne peut qu'aimer une fille de vingt ans capable de chanter par cœur du Lynda Lemay.

Avec Alice, c'est aussi la musique qui réinvestit leurs vies. En effet, ce n'est pas l'amour de la littérature qui a réuni Thomas et Alice, pas plus qu'il n'a réuni jadis Carla et Frédéric. Non, ce qui a permis aux deux jeunes gens de se rencontrer, c'est la musique. Plus précisément, l'harmonie municipale où tous les jeudis soirs Thomas joue du saxophone et Alice de la flûte.

― Tu devrais entendre ses solos, maman, a déclaré Thomas enthousiaste la première fois qu'il lui a parlé d'Alice. Elle est fantastique !

Carla jouait du violoncelle autrefois. Avec un métier qui la fait rentrer tard le soir, deux enfants à élever et un foyer à gérer, le violoncelle s'est vite retrouvé relégué dans un coin de son bureau, où il attend toujours des jours meilleurs.

Mais ses enfants font de la musique. Thomas a commencé le saxophone à sept ans et n'a jamais arrêté depuis, en dépit de son bac S puis de la prépa qu'il a intégrée en vue de passer les concours d'ingénieur. Chloé finit son premier cycle de flûte traversière.

D'habitude l'été la pratique des instruments au camping relève des devoirs de vacances et de la corvée pour tout le monde. Il faut trouver un créneau pour en faire tous les jours, et la plupart des voisins n'apprécient pas vraiment qu'on leur casse les oreilles avec ça, ce qui oblige les enfants à aller répéter dans le champ de cerisiers tout au bout du camping, du moins les jours de beau temps.

Trop jeune pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant