Chapitre 22

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Le quatuor avec flûte de Mozart insuffle à Chloé une bouffée de bonne humeur et de joie de vivre bienvenue. Elle retourne à l'école rassurée et bien déterminée à ne plus se laisser impressionner par toutes les idioties qu'elle risque d'y entendre sur l'homosexualité.

De plus, elle se souvient que grandir veut dire aussi pour elle accéder enfin à l'harmonie municipale – la vraie, celle des adultes où joue Alice, et non plus celle réservée aux élèves de premier cycle où elle ronge son frein depuis plusieurs années.

Carla est reconnaissante à Alice d'avoir contribué à désamorcer une crise dont elle ne savait rien. Sa compagne, égale à elle-même, ne dit pas grand-chose tandis qu'elle lui résume les tourments qui minent Chloé, parfaitement consciente de son rôle dans cette histoire. Mais quelques temps après, elle écrit une nouvelle sur les affres de l'adolescence vus par une jeune fille qui se demande si elle est amoureuse de sa meilleure amie.

― C'est magnifique, ma chérie, approuve Carla à la fin de sa lecture. Terriblement romantique !

― Tu ne veux pas dire « sentimental », j'espère ? demande Alice, inquiète à l'idée d'avoir écrit par mégarde une bluette adolescente.

― Pas du tout, sourit Carla. Romantique comme du Stendhal ou du Balzac ! En moins hétéro...

― C'est terrible que les histoires d'amour entre filles s'y prêtent aussi bien, tu ne trouves pas ? soupire Alice, rassurée sur le ton de son histoire.

La jeune femme s'agace fréquemment du manque de représentation des couples de femmes ordinaires dans la fiction grand public, dû entre autres au fait que ce sont des hommes qui financent, écrivent et réalisent la majorité des œuvres diffusées. Que comme jadis les indiens dans les westerns, une bonne lesbienne soit encore trop souvent synonyme de lesbienne morte, voilà qui l'indigne sans fin. « Comme si on n'avait pas le droit de vivre ! » souligne-t-elle. Et pourtant, elle vient d'écrire une déchirante histoire de premier amour à sens unique.

― C'est inspiré de faits réels ? interroge Carla, qui a trouvé à l'héroïne plus d'un point commun avec sa compagne.

Alice esquisse une petite grimace.

― Mon premier cœur brisé, j'en ai peur.

Cela remonte à ses quinze ans, ce qui n'est pas si loin tout bien considéré. Il ne s'est rien passé sinon un amour platonique non réciproque et une lettre d'amour timide et passionnée qui a mis fin à une belle amitié.

― Je n'avais jamais réalisé que tu avais déjà été attirée par une fille avant moi... fait remarquer Carla, intriguée.

― C'était mon premier amour, admet Alice avec une moue chagrine. Mais ça s'est tellement mal fini que je n'ai plus jamais regardé une fille après ça. C'était plus simple avec les garçons. Et puis il y a eu toi...

Le regard d'Alice sur elle est si brûlant que Carla s'apprête à interrompre leur conversation, quand un détail lui revient soudain à l'esprit.

― La fille dans ta nouvelle, ne peut-elle s'empêcher de faire remarquer, elle a les yeux brun foncé, les cheveux noirs et le teint mat comme moi. C'est une coïncidence ou bien... ?

Le visage d'Alice affiche une petite grimace d'excuse mi-embarrassée, mi-amusée.

― C'est un détail véridique et même pas inspiré de toi, mon amour, grogne-t-elle. Il semblerait que j'aie un type !

― J'espère être à la hauteur de tes fantasmes de jeunesse alors, sourit Carla en se rapprochant, attirée par le regard magnétique d'Alice sur elle.

Trop jeune pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant