Chapitre 24

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Enfin, pense Carla tout en regardant Alice, son ami hautboïste et Chloé déchiffrer des Christmas Carols sur le tas en s'amusant comme des fous.

Max qui en a entendu d'autres est couché dans son panier et ne se fatigue même pas à dresser la tête. Lola, l'air offusqué par tout ce boucan, s'est planquée sous le sapin les oreilles rabattues et se venge en donnant des coups de pattes dans les décorations qui pendent à sa portée. La mère de Carla, venue faire escale chez elle pour les fêtes entre deux voyages, est en grande discussion avec une étudiante en anthropologie et un jeune libraire de la FNAC spécialiste de la science-fiction.

Ce Noël est particulier pour Carla. Au bout de trois ans, c'est le premier qu'elle peut passer avec Alice. Enfin ! Une soirée chez elles en petit comité, à laquelle n'ont été invités que quelques amis d'Alice esseulés pendant les fêtes. Personne ne devrait avoir à passer Noël tout seul. L'ambiance est chaleureuse et détendue, la mère de Carla apprécie toute cette jeunesse autour d'elle, et sa présence lui évite pour une fois de se sentir la plus vieille dans la pièce.

Il manque encore une personne pour que le bonheur de Carla soit complet. Son fils Thomas, qui s'obstine à la maintenir hors de sa vie malgré le temps écoulé. Son fils dont l'absence est comme un fragment de balle incrusté dans sa chair. En surface, la blessure qui l'a logé là semble cicatrisée mais sous la peau, le fragment en s'oxydant n'en diffuse pas moins dans son organisme le poison qui la ronge encore et toujours.

Son fils à qui elle a dérobé son bonheur. Peut-elle seulement espérer qu'un jour Alice et lui seront réunis en toute sérénité dans la même pièce pour une soirée telle que celle-ci ?

Mais malgré l'absence de pardon, Carla a choisi de vivre. Alors tandis que sonnent les douze coups de minuit, que tout le monde se met à se souhaiter un joyeux Noël, que Max s'approche avec curiosité, attiré par les effusions, et que Lola indifférente aux affaires humaines poursuit frénétiquement aux quatre coins de la pièce une boule qu'elle a réussi à décrocher du sapin, Carla relègue avec soin au plus profond d'elle-même la pensée toujours douloureuse de son fils perdu et va serrer dans ses bras trois générations de femmes qu'elle aime.

Il est encore tôt lorsqu'elle s'éveille le lendemain matin après une courte nuit. C'est le jour de Noël. Le soleil hivernal n'est pas près de se lever et seule une vague lueur provenant des lointains lampadaires éclaire la chambre, ne permettant de distinguer que des ombres.

En douceur, Carla se dégage de l'étreinte d'Alice endormie. Le bras de la jeune femme qui l'entourait reste tendu vers elle, alangui par le sommeil. Peu à peu, Carla commence à distinguer son profil pur qui se détache en ombre chinoise sur l'oreiller plus clair. Elle réfrène l'envie d'allumer la lampe de chevet pour contempler sa compagne, de peur de la réveiller. Imperceptiblement, elle caresse le bras dénudé d'Alice avant de tirer la couette dessus et de sortir de la chambre sans bruit.

C'est l'heure où tout le monde dort encore, celle où elle aime faire une promenade tranquille avec son chien dans les rues désertes avant d'attaquer sa journée. Lorsqu'elle descend, Max qui la connaît mieux que personne l'attend déjà au pied de l'escalier, la queue frétillante.

C'était un beau réveillon, pense Carla en respirant l'air froid et vivifiant du petit matin tandis que Max trottine aux alentours en reniflant partout et s'empresse de recouvrir de sa marque celle que d'autres chiens ont eu l'audace de laisser sur son territoire. Pas d'échange de cadeaux hier soir, juste des rires, des jeux, de la musique et des agapes partagées autour d'un bon repas et d'un grand plateau de friandises.

Sous l'impulsion d'Alice qui déteste la consommation superflue, il n'y a pas eu hier de ces cadeaux symboliques, mal ciblés et souvent voués à l'inutilité qu'on offre à ceux qu'on ne connaît pas bien. Les invités étaient conviés à apporter chacun une poignée de fruits secs achetés en vrac pour le dessert, et le réveillon s'est achevé en piochant sans retenue dans le plateau débordant de fruits secs de toutes sortes, de truffes maison faites par Carla et de figurines en pâtes d'amande signées Chloé, le tout accompagné de grandes tasses d'infusion à la menthe, une boisson peu orthodoxe pour un réveillon de Noël mais efficace pour faire passer tout ce sucre.

Trop jeune pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant