Chapitre 14

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― Combien de temps on va rester ici, maman ? demande Chloé, immobile au milieu de sa nouvelle chambre encombrée de cartons.

― Je ne sais pas, ma puce. Ca dépendra de ton père.

Frédéric n'a rien voulu entendre. Trois jours, pas un de plus. Malgré elle, l'organisatrice en Carla a repris le dessus. Elle a posé des congés à la bibliothèque, qui peut bien tourner deux jours sans elle, et s'est organisée. Pour trouver le jour même un logement à louer. Supplier l'agence de préparer le bail en urgence.

Sa situation a éveillé la pitié de l'agent immobilier : une femme en pleine séparation, seule avec sa petite fille. Solvable, heureusement. Fonctionnaire. Trois fiches de paie et un chèque de caution. Affaire conclue.

Organiser a toujours rassuré Carla. Organiser lui permet de conjurer la peur, d'agir pour maîtriser le cours des choses, de canaliser ses pensées. Elle a trouvé des déménageurs. Ils peuvent venir le lendemain, c'est la saison creuse pour eux. Personne ne déménage en pleine semaine, au beau milieu de l'année scolaire.

Elle a listé ce qu'il fallait emporter, quels meubles, quels vêtements, quelle vaisselle, quels ustensiles de cuisine, quels jouets pour Chloé. Listé aussi ce qui manquerait et qu'il faudrait racheter. Elle a fait les cartons. Jusqu'au bout, elle a espéré que son mari ferait un geste, qu'il fléchirait. Mais non. Il l'a regardée faire ses valises. Il l'a laissée déménager.

― Tu ne comprends pas, lui a-t-il dit avec un regard vide qu'elle ne lui connaissait pas. Je pensais vieillir avec toi. Tu me suffisais. Mais moi, je ne te suffisais pas et je ne m'en doutais même pas. Il a fallu que tu ailles chercher une femme, bon sang. Et une gamine en plus ! Je croyais te connaître mais je ne sais plus qui tu es. Je ne pourrai plus jamais te faire confiance.

Carla sait pertinemment que son mari est de bonne composition mais qu'une fois atteint le point de non-retour, il n'y a plus rien à espérer de sa part. A-t-il vraiment suffi d'un seul écart pour en arriver là ? Leur relation était-elle donc si fragile ? Elle espère encore qu'il reviendra à la raison. En attendant, elle a emmené Chloé. Frédéric l'a laissée faire parce que c'est plus simple. Pas plus facile, mais plus simple. Il la verra le week-end.

Dans le nouvel appartement, Max la truffe en alerte explore tous les coins et recoins. Bien sûr, Carla a aussi emmené son chien. Du moment qu'il est avec elle, elle sait qu'il s'adaptera. Avec un pincement au cœur, elle a laissé la chatte Lola qui est plus attachée à la maison qu'à ses maîtres et serait malheureuse dans un si petit appartement, sans le moindre bout de nature où aller vagabonder.

Chloé considère d'un air dubitatif le papier peint défraîchi qui couvre les murs de sa nouvelle chambre et tapote du bout du pied la plinthe poussiéreuse.

― Pourquoi papa est fâché contre toi ? demande-t-elle d'une petite voix. Tu as fait quelque chose de mal ?

Carla soupire. Elle a assez menti. Autant que tout soit dit.

― Tu te souviens d'Alice, ma puce ? La copine de ton frère ? Je l'aimais beaucoup moi aussi. Tellement que je suis tombée amoureuse d'elle. Ca a fait de la peine à ton frère et à ton père.

La fillette fronce les sourcils et Carla prie pour que Chloé ne se mette pas à la détester elle aussi. Non qu'elle aurait tort de blâmer sa mère pour ses misères, maintenant qu'à cause d'elle toute sa vie de petite fille s'en trouve également bouleversée. Mais Carla a vraiment besoin d'avoir au moins une personne de son côté face à un mari glacial, drapé dans sa dignité outragée, et un fils qui n'a pas daigné réapparaître avant qu'elle ait vidé les lieux.

Là tout de suite, Chloé n'a pas trop l'air de lui en vouloir. Il est vrai qu'elle aime bien Alice elle aussi. Au bout d'un moment d'intense réflexion, elle l'interroge, pratique.

Trop jeune pour toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant