Trop jeune pour toi

Chapitre 19

― Tu es si belle !

Carla, occupée à récurer à la brosse à pont sa nouvelle terrasse de caractère en carrelage mosaïque bleu, n'a pu s'empêcher de s'interrompre, le regard attiré par la gracieuse silhouette d'Alice qui fait les carreaux non loin d'elle.

Perchée sur un escabeau, la jeune femme est vêtue d'un corsaire et d'un débardeur qui mettent joliment en valeur sa silhouette élancée et ses courbes féminines. Tandis qu'elle astique les vitres à grands coups d'éponge énergiques, ses longs cheveux auburn relevés en queue de cheval accrochent la lumière, embrasés par le soleil de juin. Nullement embarrassée par le compliment, elle se retourne pour adresser à Carla un sourire radieux avant de plonger son éponge dans l'eau vinaigrée et de poursuivre sa tâche.

L'année scolaire touche à sa fin. Les partiels d'Alice sont terminés, sa licence de lettres validée. Chloé achève son année de cinquième avec les félicitations du conseil de classe. Après des mois à la recherche d'un logement et d'autres encore de préavis, toutes trois viennent enfin d'emménager dans la maison que leur a trouvée Jean-Claude, leur providentiel agent immobilier.

Les carreaux finis, Alice s'essuie les mains et vient enlacer Carla par-derrière avec un soupir de contentement. Au-dessus de leurs têtes le ciel est bleu, parsemé de petits nuages blancs cotonneux. Au pied de la terrasse s'étend un vaste jardin en friche tout en longueur.

La chatte Lola rôde avec circonspection dans les hautes herbes folles, explorant son nouveau territoire tel un fauve miniature dans la savane tandis que Max, confiné de longs mois en appartement, gambade partout comme un jeune chiot, se roule par terre avec délices et poursuit la moindre bestiole qui passe.

Alice pose une bouche souriante dans le cou de Carla et murmure :

― On va être bien ici !

Carla l'est déjà, dans l'étreinte parfumée d'Alice, son petit monde de nouveau presque reconstitué autour d'elle. Chloé qui a encore quelques jours d'école n'est pas là pour les voir, alors elle se retourne dans les bras d'Alice, l'enlace à son tour et l'embrasse là sous le soleil, sur la terrasse de la maison qu'elles ont choisie pour y vivre ensemble.

La maison elle-même a ses défauts, comme toutes celles visitées auparavant. Elle est un peu biscornue avec ses petits escaliers entre deux pièces aux endroits les plus inattendus. Et les antiques volets roulants en lamelles de bois se manoeuvrent à l'aide d'une chaîne métallique qui menace de vous arracher la peau des mains si l'on n'y prend garde.

Mais les parquets qui craquent sont eux aussi en lattes de bois véritable, la salle de bain est munie de robinets en acier et d'une baignoire en fonte à toute épreuve qui ont déjà franchi sans dommages plusieurs décennies. Les épais murs de pierre protègent des écarts de température et le jardin en friche ponctué de grands arbres n'attend que la main experte de Carla pour révéler tout son potentiel.

Pour la première fois depuis bien longtemps, Carla se sent heureuse. Elle n'a emporté que peu de choses de sa précédente vie et quant à Alice, ses possessions se résument à un peu de linge, de vaisselle, sa flûte et quelques livres. Si bien qu'elles ont à présent le luxe de pouvoir choisir ensemble ce dont elles souhaitent meubler leur maison.

Débattre du style de leur chambre ou choisir avec Alice le tapis du salon est un petit bonheur ordinaire que Carla n'aurait jamais pensé connaître un jour. Dans sa précédente vie, son mari indifférent aux questions de mobilier et de décoration lui a toujours laissé carte blanche pour ce qu'il considérait comme "des trucs de bonnes femmes."

Alice a grandi dans une famille où personne ne lui demandait son avis sur la couleur de sa chambre ou le style de ses meubles, puis passé trois ans dans un studio meublé pour étudiants. Elle a peu de points de repères en matière d'ameublement et s'efforce de définir ses propres goûts face aux préférences de Carla, qui vont à un style rustique simple et chaleureux.