29 : En attente

150 27 9
                                    

Le verdict du conseil, plus par indécision que par forte conviction, fut d'attendre l'évolution des événements. Chaque décision, et il ne s'en était rendu compte que trop tard, pouvait mener à une cascade imprévue de conséquences désastreuses.
La réaction de Varlok, notamment, était attendue avec crainte. Les légions des Hautes-Terres avaient été contactées, et La Bourgade attendait, impuissante, l'arrivée des troupes des Blanches ou bien du Second.

L'attente se devait cependant de ne pas être oisive. Tandis que le Messire Misères entraînait de plus belle Paulin aux arts de l'escrime, Méturis et Aliénor entreprirent de recouvrir leurs réserves de plantes médicinales à l'orée des bois d'Opale.
Sélénie aurait été ravie de les y rejoindre pour les y guider, mais une très importante partie de cache-cache avec les enfants de La Bourgade la retenait là-bas.

La cueillette se passa dans un relatif silence sous les rameaux d'or et de bronze de l'automne. Une désagréable tension pesait entre la druidesse et le médecin, aussi ce dernier décida-t-il de crever l'abcès, une bonne fois pour toutes :

« Vous ne lui avez toujours pas dit, n'est-ce pas ?

Aliénor, qui redoutait de devoir à nouveau se confronter sur ce sujet, se contenta de faire non de la tête en fouillant quelques racines.

— Écoutez, Aliénor, commença le prestre.
Je comprends parfaitement que cela ne doit être annoncé que par nulle autre que vous-même. Et en d'autres circonstances, je vous aurais laissé le loisir de laisser cela caché de tous.

— Alors quoi ! aboya-t-elle brusquement en se tournant vers l'étrange être.
Vous vous en chargerez à ma place, c'est ça ? Vous détruiriez ma vie simplement par amour de l'honnêteté ?

Méturis demeura inflexible et calme.
— Nous risquons prochainement d'affronter le Dernier des Cinq, lâcha-t-il.
Aliénor se calma, visualisant mieux la situation. Le prestre ne la relança qu'une fois qu'elle eut respiré.
— Tout secret inavoué est entre ses griffes une arme mortelle, vous en êtes consciente ?

— Si ce n'était que ça...
La druidesse, pensive et lasse, s'assit sur une bûche renversée. Le prestre la rejoignit. Leurs regards fuyaient, en avant, dans la même direction.

— Comment devient-on prestre ? demanda-t-elle finalement, afin de changer de sujet.

Méturis se plut à cette déviation grossière. Le sujet précédent semblait ne pas lui faire plus plaisir qu'à la concernée.
— L'on ne le devient qu'avec cinq éléments, expliqua-t-il comme s'il récitait un discours.
Il faut en premier lieu la foi envers Primum Ipsa. En deuxième, le savoir des médecines. En troisième, il faut sauver une vie en soignant un malade. En quatrième, il faut être touché par un Mal.
Et enfin, en cinquième, alors que notre corps meurt de son Mal, il faut la bénédiction de Primum Ipsa lui-même. Lui seul décide de qui devient prestre et de qui est rongé par les Maux.

Aliénor hocha doucement la tête, puis demanda :
— Quand vous dites un Mal, c'est... ?

— Une maladie grave. Chacune des trois pestes, la chair d'eau, la valinite, le cancer, la lycanthropie... ce genre de Mal.

— Mais si chacun des Cinq est l'Avatar d'un fléau ; souffrance, guerre, misère, mort et peur, ça ne fait pas de Primum Ipsa l'Avatar de la Maladie ? voulut savoir Aliénor, curieuse de cette étrange religion.

— Si. Primum Ipsa, Avatar de la Maladie, Esprit des Corps. Mais c'est là le plus important : Primum Ipsa est la cause des maladies chez les mortels, mais nous donne les clefs pour le défaire lui-même.
Le combat le plus dur et le plus essentiel est celui qui nous oppose à nous-mêmes, nous enseigne-t-il ainsi. »

Aliénor lâcha un demi-sourire à cette phrase, jugeant à quel point cette maxime pourtant générale parmi le culte du Véritable Premier semblait tout à coup s'adresser à elle en particulier.
Elle et il se laissèrent le temps de réfléchir là-dessus.

Pendant ce moment d'introspection aux abords de la forêt d'Opale, La Bourgade entra en ébullition.
Messire Misères, en bon bourgmestre, avait prévenu sa population que les temps qui venaient risquaient d'être plus sombres dès que la décision d'appel aux forces Hautes-terriennes fut prise, il y avait cela deux jours.
Il avait ainsi annoncé que la légion des Blanches viendrait bientôt assurer leur sécurité contre les troupes des Dragons, mais que des accords seraient établis afin que la présence des soldats Hautes-Terriens affectent le moins possible la vie de ses bons concitoyens.

L'affaire semblait entendue. Pourtant, en ce début d'après-midi que le Messire employait à parfaire les talents grandissants de Paulin à la joute, une clameur parvint aux duellistes depuis la place de l'hôtel de ville, d'ordinaire paisible.
Alors que les bretteurs rangeaient leurs lames et se résiliaient à voir ce qui causait pareil émoi, Sélénie apparut en un éclair. Elle portait une petite robe émeraude assortie avec sa peau turquoise, et un air alerte très peu en accord avec sa vivacité habituelle.

« Un étranger réclame audience, Messire, informa-t-elle en voletant sur place face au bourgmestre.

— Il ne suffit pour cela que de me rencontrer, répondit l'intéressé en époussetant les bas de sa robe, ne comprenant pas comment cela pouvait à ce point agiter La Bourgade.

— C'est qu'il dit ne pas avoir le droit de passer le portail, expliqua la fée en reprenant son souffle.
Il dit qu'il a été banni, précisa-t-elle entre deux inspirations.

Cette dernière information déclencha une raideur subite chez le Messire Misères, figé dans ses manières. Derrière ses masques, ses pupilles se rétrécirent pour ne former que deux points imperceptibles.

— Vous avez déjà banni quelqu'un, Messire ? » demanda la fée, alors que le bourgmestre se précipitait aussi vite que possible vers le portail d'entrée de La Bourgade.
Elle se tourna vers Paulin, qui n'en avait pas compris bien plus.

Soulevant ses épaisses étoffes, Messire Misères s'élançait, sur ses six pattes arachnides néanmoins élégamment bottées, vers le portail d'entrée du hameau.
« Place ! Place ! » scanda-t-il à la foule qui s'amassait derrière l'arc de bois au panneau pendant.

Les villageois s'écartèrent, permettant au bourgmestre de faire face à l'étranger.
Du haut de son colossal cheval au crin noir, Témeriel jugeait la foule, la tête haute. Ce même regard tomba sur Messire Misères, béat sous ses masques.

Le Reliquaire de Rocacier prononça ses mots sans la moindre émotion, droit sur son destrier.
« Il y a de cela quinze ans, je fus banni de ce village. Aujourd'hui, je ne reviens pas pour porter des excuses.
Je demande audience auprès du Bourgmestre afin de porter les paroles de Sa Seigneurie Varlok à qui de droit. Si le bannissement n'est pas levé, ne serait-ce que de manière temporaire, ayez l'obligeance de convoquer le Sieur Paulin Destoisons. Le message du Second des Cinq le concerne. »

Ainsi qu'il fut ÉcritOù les histoires vivent. Découvrez maintenant