L'Avatar de la Guerre demeura immobile, à l'instar de ces armures vides décorant les couloirs des châteaux. À l'exception près que cette armure draconique-ci, de quelques trois toises de haut, était habitée par un torrent de flammes.
Ses mâchoires ne s'animèrent qu'à peine pour parler, mais ce fut suffisant pour que s'en échappent les gerbes des flammes de sa poitrine ainsi que sa voix, qui se fit aussi grondante que l'éruption d'un volcan.« Commandeur Témeriel. Je traverse actuellement une période de doute. Je ne fais pas appel à vous en tant que général des armées, mais en tant que conseiller. Vous sentez-vous capable de remplir un tel rôle ?
— Assurément, répondit l'autre sans faillir.
— Bien. Dites-moi, Témeriel. Pensez-vous que cacher sciemment la vérité est mentir ?
Le général prit son temps avant de répondre. Il n'était pas dans les manières de Varlok de tendre des pièges : en diplomatie comme au combat, l'Avatar de la Guerre se montrait toujours blessant car direct. Jamais il n'employait de feintes ni de fourbes stratagèmes : tel était son code d'honneur. Et tous connaissaient Varlok comme attaché à l'honneur par dessus toute autre chose.
— Je pense, hésita-t-il finalement, que votre question n'est pas posée dans le bon sens. Je m'explique, ajouta-t-il aussitôt. Mentir, ou bien garder une vérité pour soi, ne sont que des outils pour une œuvre plus grande. Nul ne ment pour le simple fait de mentir, sans en espérer un quelconque retour.
Voyant le Second des Cinq intéressé, Témeriel poursuivit.
— La question qui mériterait alors d'être posée serait « est-ce une bonne chose de mentir ou bien de ne pas partager son savoir ? » Et la seule réponse que je jugerais valable en ce cas serait « tout dépend du dessein que ce mensonge sert. »Le cou articulé de Varlok se mût pour reproduire l'inspiration qui accompagne les réflexions.
— Commandeur Témeriel, je ne vous savais pas philosophe.Le général acquiesça humblement en réponse au compliment.
— Ce n'est rien, Seigneur. D'autres que moi vous seraient d'une bien meilleure aide, je vous l'assure. D'autant plus que le sujet est à mes yeux assez vague. S'il m'était autorisé d'en savoir davantage sur ce qui cause vos doutes, peut-être vous serais-je d'une plus grande utilité...Le crâne draconique d'acier empêcha de lire la moindre émotion sur le visage du Second des Cinq. Aussi, son silence étiré laissa Témeriel s'imaginer ce qu'il allait répondre à son impertinence.
« Désirez-vous un exemple concret, afin de réfléchir avec plus de justesse sur ma problématique ? finit-il par proposer.— Je vous suis entièrement dévoué, votre seigneurie, et ne vis qu'à vous servir.
— Soit. Durant la bataille de Saint-Égide, vous avez croisé de loin un guerrier qui vous a sauvé la vie. Pourquoi cet homme vous intrigue-t-il autant ?
Le visage du Commandeur s'empourpra.
— J-je souhaiterais simplement le remercier, bafouilla-t-il en courbant l'échine.Les anneaux métalliques qui forgeaient la nuque du Dragon se ployèrent, et firent descendre le crâne d'acier vers Témeriel.
Moins d'une toise séparait à présent la gueule draconique du Second du général. À cette distance, ce dernier sentait la chaleur volcanique du fourneau du Dragon l'étouffer.— Pourquoi me mentez-vous ? articula l'Avatar de la Guerre avec un calme écrasant.
À chacune des syllabes séparées s'accompagna des jets de vives flammes rouges entre les deux gigantesques mâchoires de la bête.
Le cœur de Témeriel battait à se rompre. Il se voyait déjà fini, carbonisé par la honte encore plus que par les flammes du Dragon.
Celui-ci redressa son long cou métallique, comme le font les serpents avant de frapper. Cependant, ses paroles furent vides de tout reproche :— Ne vous en voulez pas à vous-même, Commandeur. Cela est tout à fait humain de votre part, et c'est bien là ce que je cherche à comprendre.
Je vous en prie, Commandeur. Essayez de m'expliquer ce qui vous pousse à me mentir en dépit des conséquences. Si vous le pouvez, faites fi de ce que je suis. Je cherche à comprendre le mensonge. Expliquez-moi.Témériel voulait disparaître. Être loin, loin de tout. Peut-être même ne jamais avoir existé.
Il inspira profondément, et instaura le calme dans son esprit. Il organisa ses idées comme il rangeait ses troupes : alignées, droites et avec la formelle interdiction de sortir du rang.
Puis il arpenta ses phalanges d'idées au garde à vous, en vue de trouver une réponse au Second.Celui-ci, patient, apaisa l'ardeur de son brasier et attendit sagement.
De la réponse qu'allait lui donner le Commandeur dépendaient beaucoup, beaucoup de choses.Après une méditation qui lui sembla durer une éternité, Témeriel releva la tête, et plongea son regard dans celui du Dragon.
« J'ai menti. Alors même que je savais qui vous étiez, et ce que vous représentiez. Alors même que je m'efforce, chaque jour que les Cinq font, de suivre votre exemple, votre code d'honneur. Alors même que vous êtes la personne en laquelle je place le plus d'estime, je vous ai menti.
Et je ne saurais dire pourquoi. J'ai honte. J'ai honte d'avoir menti, et j'ai menti car j'avais honte. Honte de ce que vous penseriez de moi, de ce que je pense de moi-même.
J'ai menti, car en moi se bousculent des sentiments si complexes que les mots ne suffisent plus, et que le mensonge me paraissait à moi-même une voie plus... facile.
Je vous ai menti, car je me mentais à moi-même. Je devais penser qu'ainsi, l'agréable mensonge deviendrait la seule vérité, et que la dure vérité tomberait dans l'oubli...
Pardonnez-moi, Seigneur. »Le Dragon resta immobile. Seule la fournaise qu'il abritait au sein de son poitrail regagna en intensité. Quand il reprit la parole, aucune flamme n'accompagna ses mots. L'Avatar de la Guerre semblait presque apaisé.
« J'aimerais récompenser votre honnêteté, votre dévotion, votre bravoure et votre grande aide, Commandeur.
Vous m'avez prouvé, face aux Paladins Noirs, que vous défendriez l'honneur avant la vie.
Vous m'avez prouvé, sur le champ de bataille, que vous défendriez l'honneur avant la victoire.
Enfin, vous m'avez prouvé, par vos aveux éclairés, que vous défendriez l'honneur avant l'interêt.
En cela, moi, Seigneur Dragon Varlok de la Brèche, Second des Cinq, vous déclare apte à porter le titre de Reliquaire et à en jouir de tous les mérites qui en découlent.
Il ne manque, pour parfaire cet adoubement, que votre approbation. »Le cœur de Témeriel manqua un battement.
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Ainsi qu'il fut Écrit
Fantasi🏆 Wattysée 2021 - Fantasy 🏆 Depuis plus d'un siècle, les Cinq dragons nés de la Brèche règnent sans partage sous un ciel écarlate. Par un hasard malheureux, Paulin, un jeune berger sans ambition, est désigné par un esprit ancestral pour mettre un...