7. Commandeur en Duel

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L'air frais de la nuit, porté par une brise, luttait avec ferveur contre la chaleur des flammes et l'ardeur des combats. Les calmes ténèbres fuyaient devant le feu qui dévorait le fort.
Témeriel leva les yeux au ciel, et croisa le regard spectateur de Valin, sur la lune d'Opale. Le Premier des Cinq paraissait... diverti.

Le Commandeur s'avança dans le champ de bataille, sur les débris encore fumants d'un pan de muraille effondré. De nombreux corps de gobelins jonchaient les éboulis, à tel point qu'il était difficile d'avancer sans profaner leurs cadavres difformes. Quelques soldats humains s'étalaient également. Parmi ceux-ci, presque tous portaient les couleurs de Blanche.

Devant lui, la mêlée était des plus féroces ; un véritable chaos d'acier et de tendons, de fer et de chair, les uns dans les autres.
Témeriel n'était pas le type de Commandeur à laisser ses troupes se battre avant de récolter toute la gloire, mais il savait que s'exposer signifiait être une cible privilégiée.

Du haut des gravats, il examina la situation. Une phalange de soldats contenait tant bien que mal un groupe de gobelins excités par le sang et la chair. Les peaux-vertes avaient le nombre et l'ardeur, les soldats de Blanche avaient la position et la tactique : mieux valait ne pas s'en mêler.
Plus loin, un Paladin Noir affrontait deux moines de la Pureté en même temps, et semblait peu à peu prendre l'avantage.
Puis Témeriel trouva ce qu'il cherchait : un digne adversaire à affronter en duel singulier. Celui-ci venait d'achever une poignée de chair à acier gobeline avec un brand à deux mains manié à la perfection.

En trois enjambées pressées, de peur qu'un autre n'engage sa proie avant lui, Témeriel fit face au soldat. S'il n'avait pas l'air d'un vétéran, sa fière moustache blonde remontée en boucles et ses quelques ridules lui donnaient l'apparence d'un combattant aguerri et noble.
Cependant, Témeriel savait, et ce mieux que quiconque, qu'il fallait éviter de limiter une personne à sa seule apparence.

« Êtes-vous... ? balbutia le soldat de Saint-Égide, reconnaissant celui qui s'avançait vers lui.

— Témeriel Lysandre De Brumeguivre IV, dit De Rocacier. Je vous affronte en duel. Qui êtes-vous, soldat ?

— Loyal de Rivedroit. Retenez ce nom, car c'est celui de l'homme qui vous occira, cracha-t-il en réaffirmant son empoigne sur le manche de son épée.

— J'apprécie beaucoup cette mentalité, commenta le Commandeur du Second, extatique. En garde ! »

Aussitôt, le soldat s'élança, dessinant de sa lame un arc de cercle parfait, qu'une parade dévia avec une pareille fluidité. Témeriel devina avoir déjà gagné à cet instant, son léger glaive à même de porter un coup fatal au soldat, dont l'expérience avait de toutes évidences été fantasmée. Déçu par ce qui aurait dû être un bel affrontement, le Commandeur porta sans la moindre conviction le coup de grâce.

La pointe de son arme tinta contre le sol, et une sévère douleur au flanc l'ébroua de fond en comble.

Témeriel avait sous-estimé. Le long brand à deux mains de Loyal avait beau peser lourd, la double prise permettait une maniabilité que le Commandeur n'avait pas soupçonné.
En rage contre lui-même plus que contre son adversaire, il dut parer de justesse trois assauts enchaînés à la vitesse de l'éclair pour ne pas être tranché en deux. Loyal ne lui laissait aucune échappatoire, aucun répit.
En d'autres circonstances, Témeriel se serait fortement réjoui d'un combat aussi intense. Mais ici, il n'avait plus aucun contrôle.
Après une entaille profonde à l'épaule qui lui aurait tranché la jugulaire s'il n'avait pas été aussi réactif, le Commandeur sentit même un sentiment depuis longtemps oublié : la peur.

Un instinct viscéral se greffa à chacun de ses gestes, leur offrant plus de force et plus de vitesse. À chaque tintement d'acier, l'image de l'erreur jaillissait dans son esprit. Il lui semblait même ressentir le coup paré, comme un perpétuel rappel de sa posture.
Bientôt, Témeriel prit le dessus sur Loyal. Pourtant, la perspective de sa défaite le hantait encore, tant il percevait à chaque assaut la faiblesse de son avantage. Le calme et la justesse du soldat de Saint-Égide, en revanche, ne changèrent pas le moins du monde. La froideur déterminée de son regard jouait sans doute un rôle dans les craintes du Commandeur.

Une malheureuse parade de Loyal précipita l'issue du combat ; Témeriel enchaîna méthodiquement les assauts, jusqu'à ce que le soldat ne puisse plus rattraper son retard. La lame symétrique du Commandeur entailla profondément le bras droit de son ennemi, dont l'épée était trop lourde pour être maniée à une main.
Pourtant, Loyal tenta de poursuivre le combat, malgré ses gestes rendus gauches et grossiers. Sans perdre en concentration, Témeriel dévia deux coups imparfaits, puis propulsa son adversaire au sol d'un furieux coup de pied au torse.

Blessé et empêtré dans une côte de maille trop lourde pour son état, Loyal cessa de vouloir se relever. Le Commandeur du Second des Cinq, quant à lui, prit son temps pour avancer vers son ennemi tombé.
« Qu'a... attendez-vous pour... m'achever ? râla Loyal, un filet de sang s'échappant de ses lèvres.

— Je vous remercie grandement pour ce combat. Vous fûtes valeureux et brave. Ma seule erreur fut de vous avoir sous-estimé. Entraînez-vous, et la prochaine fois, revenez-moi plus fort encore. »

Sur ces mots, Témeriel planta son épée d'un geste sec dans le sol boueux, et tendit son bras vers le soldat blessé.
Loyal le regarda, les yeux écarquillés. Le Capitaine des troupes de Varlok, un ennemi mortel dévoué au Second des Cinq, lui proposait son aide sur le champ de bataille après l'avoir vaincu.

Ainsi qu'il fut ÉcritOù les histoires vivent. Découvrez maintenant