La veuve

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Londres, 22 heures

Lucia avala sans soif le contenu d'une coupe de champagne. Autour d'elle, la « fête » battait son plein dans tout le salon. Elle n'aimait pas le moins du monde ce genre de cérémonies, mais Ned lui avait confirmé que ce serait un bon moyen de faire son deuil, et de surmonter les épreuves, « foutaises! » pensait-elle. 

En réalité, ce n'était pas ces rassemblements mondains qu'elle détestaient, (quoique ceci étaient déjà assez critiquables) c'était Londres toute entière. Elle avait vécu les premières années de sa vie en France, dans la Loire. Puis, vers vingt-deux ans, après quatre ans au rôle de simple gouvernante, elle avait été appelé à un poste d'institutrice dans une école spécialisée dans le développement personnel d'élèves particulièrement surprenants, venant de toute l'Europe, voir même du monde entier. Rapidement promue, c'est dans le cadre de cette école qu'elle rencontra le jeune enseignant d'intégration  des élèves venant d'Angleterre, Jack Rowerscream. Même si ce ne fut pas tout de suite le coup de foudre, il se marièrent, et naquit leur premier enfant, Wildneo. Puis, quand Gwendoline vint au monde, neuf ans plus tard, Lucia se résolut à contrecœur à quitter l'école qu'elle aimait tant et emménager à Londres rejoindre la famille de Jack, pour qu'ils se « consacrent pleinement à leur famille ». C'était ainsi qu'elle s'était retrouvé à porter un titre de noblesse qu'elle détestait, dans une ville qu'elle détestait, dans un pays qu'elle détestait. Et si elle l'avait supporté, c'était juste grâce à sa famille.

 Mais la France et l'Autriche lui manquait tant, et, sans ses enfants, elle ne supportait plus de jouer la potiche dans ces fêtes futiles et sans intérêt, à se morfondre tandis qu'à Paris, toutes les conversations portait sur l'exposition universelle à venir.

Autour d'elle, c'était l'orgie totale. Jack avait toujours apprécié ce genre de réjouissances, et sa femme les avaient longtemps supportés comme elle le pouvait en jouant avec leurs enfants, ou en sortant prendre l'air. Mais cette fois-ci, sans sa famille, Lucia ne maîtrisait plus ses pensées pleine de haine envers ces nobles dont la conduite frisait, comme elle avait toujours frisé, l'insolence. Chacun se croyait chez soi, dérangeant les meubles, salissant la moquette, hurlant sur les domestiques qui n'avait pas le courage de répliquer devant eux...Au sens de la veuve, l'une des pires conduite était celle où les invités se permettaient d'inviter un ou deux amis, qui eux-mêmes ramenaient du monde, si bien, qu'un petit apéritif entre intimes de cinq personnes pouvaient facilement se charger en un rassemblement mondain de quarante personnes.

Sans prêter aucune condoléance à la veuve Rowerscream, les nobles ricanaient à gorge déployés des derniers potins, les jupons volait, les petit fours s'engloutissaient par dizaines, l'insolence et la bêtise humaine fleurissaient dans ces cocktails que la haute société londonienne voyait juste comme un moyen de ricaner, de séduire, de boire et de manger jusqu'à plus faim. 

Chacun à sa manière, agaçait la maîtresse de maison et irritait tout le personnel, de ce jeune écervelé « séducteur » qui pensait que ce soir, c'était l'occasion d'inviter plein de jolies filles à dormir chez lui, à cette vieille pécore, assise l'air théâtral, fixant les invités d'un air indigné qui semblait dire, « cette génération ne sait même pas faire la fête! De mon temps, les réceptions avait le mérite d'être bien mieux! », en passant par cette bande de gourgandines qui s'amusent à faire les intéressante en piaillant des « vous savez que j'ai vu la comtesse Machinchose au bras d'un homme, l'autre jour? » par-ci, ricanant des « il parait que le baron trucmuche fréquente une fille de joie » par-là.

En un terme, l'orgie. 

Un orgie où tous les invités, homme et femmes, dont la plupart avaient le visage empourprés de la chaleur humaine que dégageait l'activité de la fête, se livraient à l'immaturité, aux commérages, aux chassés-croisés amoureux, où chacun recherchait le spectacle, le scandale, le drame, et où le brouhaha augmentait de minutes en minutes.

Et au milieu de cette univers plein de couleur et de vies se tenait, assise sur le sofa, Lucia, immobile, droite, terne et glacée dans sa robe de deuil noire, sans ciller, elle fixait tout ce monde dont elle n'en connaissait même pas le quart, les narine gonflées d'orgueil, et l'esprit en proie à une rage contenue, quoiqu'elle fut l'hôte, personne ne lui prêtait attention. Même pas Ned, qui était parti courtiser une jeune fille aux airs de marquise poudrée.

Ce fut finalement le docteur Mindloss, ami de son défunt mari qui vint s'assoir à ses côtés sur le sofa.

« Comment vous sentez-vous? Demanda-il timidement.

-Comme Pénélope assistant à la débauche des prétendants au trône, répondit elle sans même le regarder, d'une voix monocorde qui traduisant un ennui mortel, sauf que moi, je n'ai pas de Telemaque pour m'assister et me tenir compagnie.

-Très sincèrement, je ne sait pas comment je dois interpréter cela.

-Comme vous voudrez, je m'en fiche! Je perd mon temps dans cette ville que j'ai toujours trouvé détestable! Et mon fils qui n'est même pas au courant pour sa sœur!

-Je vois, mais vous savez...Il faut voir le bon côté des choses...

-QUEL bon côté des choses? demanda elle une pointe d'ironie à sa voix.

-J...Je, eh bien...Votre fils va bien...

-Et comment puis-je en être sure, se lamenta Lucia, irritée, sa dernière lettre remonte à trois semaines, et puis, entre nous, on peut sincèrement dire que je porte la malchance!

-Ne dites pas cela, reprit le docteur, tentant de réparer sa gaffe,  c'est un jeune garçon en bonne santé, habile...Tout porte à croire qu'il va pour le mieux, et...

-Et je vous répète ma question, le coupa brusquement Lucia, COMMENT puis-je en être sûre?!

-Eh, bien...Je, je, il est à Paris...Non? Eh bien...

-PARIS! s'exclama Lucia en se levant d'un bond! Mais bien sûr! Comment n'y ai-je pas pensé! Je perd mon temps à Londres, à rester les bras croisés et à me morfondre! Et pourtant....Je pourrais... »

Elle s'interrompit en s'apercevant que tous les regards étaient rivés sur elle, qui était auparavant aussi morte qu'une tombe, au point que son cri avait provoqué un sursaut général, un des invités en fit même tomber sa coupe de champagne.

Son visage resta figé quelques secondes, pendant lesquels elle scruta la pièce, puis enfin, elle reprit d'un coup cette assurance digne d'un général, celle-la même qui l'avait accompagné toute sa vie, et que Londres lui avait progressivement fait perdre, au point où elle s'était progressivement ensevelie au plus profond de Lucia, jusqu'à rejaillir d'un seul coup en cette soirée.

« MARY! Hurla-t-elle, je pars pour la France! Faites mes bagages MAINTENANT! »

À ces mots, elle se dirigea à grand pas vers la porte du salon, bousculant même un couple de comtes au passage, puis, en ouvrant la porte, elle jeta un œil désobligeant à la foule d'invités qui ne l'avait pas lâché du regard, la perplexité se dessinant sur tous les visages, même sur ceux des domestiques.

«Et mettez moi tout ce monde à la porte! »

Après quoi, elle claqua la porte, malgré la protestation indignée des « invités », habitués à finir ce genre de soirées après une heure du matin, au moins, mais c'était son droit, elle était la maîtresse de maison, et combien même elle ne l'était pas, rien ni personne, surtout pas une bande de nobles mal élevés ne lui ôterait de la tête son dessein de partir retrouver son fils.


La lignée des archéologuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant