Être adulte

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« Fin de l'exercice! Cria Mara après que le silence ait laissé le temps à tout le monde de reprendre ses esprits, retournez à vos occupations! »

À ces mots, Gwendoline se sentit toute bête. Un exercice? Avoir paniqué pour un simple exercice, s'être affolé sans que le moindre remous, la moindre turbulence vienne valider ses craintes, s'être laissé aller à la paralysie à cause d'une simple alarme, tout cela, c'était selon elle, purement et durement le summum de l'immaturité, de la gaminerie, c'était aussi idiot que d'avoir peur du monstre sous son lit...Et elle n'était pas la seule à penser cela, ce qu'elle comprit quand elle vit la figure de Mara qui se retenait de rire en la regardant. À ses yeux, elle n'était qu'une gamine capricieuse qui essayait de se hisser à la table des grands mais qui n'en restait qu'une chouineuse arrogante.

Chacun retira son gilet de sauvetage et retourna vaquer à ses occupations malgré l'écho du bruit de l'alarme encore trident dans toutes les têtes. Sans même prendre la peine d'en détacher les lanières, Gwendoline arracha furieusement les lanières du sien, de peur qu'elle se ridiculise encore si un adulte venait l'aider. Elle le jeta ensuite dans l'armoire, et alla s'effondrer sur le sofa de velours vert. Voyant sa contrariété, Hortense vint s'assoir à ses côtés en lui demandant ce qui n'allait pas. Mais la fillette, une fois de plus, ne voulait certainement pas avoir recours à l'aide des adultes, ce qui n'aurait pas manqué de raffermir son image de bébé. Aussi, elle resta simplement assise, le plus droitement possible en ignorant royalement sa tante qui finit par abandonner et aller discuter avec Ulysse. La fillette ne voulait pas qu'on lui parle, mais elle  ne voulait pas non plus retourner à la chambre d'enfant qu'on lui avait assigné. La vision des meubles colorés et des caisses à jouets l'écœurait depuis qu'elle s'était sentie rabaissé au rang de « gamine », enfait, elle voulait, au mieux être considéré comme une adulte, au pire qu'on lui fiche la paix. Hélas, quand on a au minimum dix ans d'écarts avec toutes les personnes de son entourage, on est difficilement considéré comme une adulte, c'est comme ça, et ça l'avait toujours été pour Gwendoline, et elle l'avait bien remarqué durant sa vie en voyant sa mère partir en voyage sans elle, son père aller à son club londonien sans elle, son frère commencer à tourner autour des femmes, et aller chasser avec ses amis, sans elle...

« Gwendoline semble un peu tendu, tu ne trouve pas? »

L'intéressée entendit la conversation entre Edith et Rocky, c'était cette dernière qui venait de parler. Toutes deux étaient assise à la table d'en face, sur laquelle était disposée une mappemonde et divers instrument de navigation.

-Oh, c'est l'adolescence, répondit Edith avec un sourire aux lèvres, elle a quoi? Treize ans? À cette âge là, tout change, c'est normal.

-Treize ans, déjà? Renchérit Rocky, tu te rappelle à quel point elle était adorable, bébé? Elle avait des petites joues toutes rondes, et toutes mignonnes!

-Elle les a toujours, mais bon, concentrons-nous. Tu peux me passer l'astrolabe, s'il-te-plaît? »

Gwendoline laissa échapper un profond soupir, à quinze ans, on lui en donnait treize. ça l'exaspérait au plus haut point et la faisait se sentir moins haut dans l'estime de ces deux femmes qui, elles, semblaient si matures, si professionnelles, et encore plus à côté de Gwendoline qui ne savait même pas ce qu'était un astrolabe.

Elle se recroquevilla sur le sofa, en évitant de croiser le regard de Mara, qui la regardait toujours  avec un air moqueur.

La fin de journée se déroula ainsi, sans que la lumière du soleil ni la beauté du zeppelin ne puisse dissiper la frustration de la fillette, et quand enfin elle prit fin, chacun passa à table, Gwendoline avait été placée au bout de celle-ci, et on ne lui adressa vraiment la parole que pour de banales paroles comme « passe-moi le sel, Gwendoline », ou « Les garçons commencent à te plaire, Gwendoline? » le reste de la conversation portait sur l'archéologie, les récentes découvertes, les théories Darwiniennes, bref, de longues discussions bien trop compliquées pour la fillette qui n'en comprenait pas un mot le plus souvent, ou au mieux, connaissait le sujet, mais pas assez pour en faire des remarques pertinentes. Elle mangea ce qu'on lui présenta sans le moindre appétit, et n'eut pas la patience d'aller se coucher en même temps que tout le monde, tant les discussions pendant le café lui étaient inaccessibles. Aussi, elle quitta la salle commune le plus tôt possible. 

La lignée des archéologuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant