« Gamine »

16 2 0
                                    

Gwendoline se leva du canapé avec une seule envie en tête, poser les mêmes questions qu'elle venait de poser à Ulysse à Edith. Malgré tout, elle ne savait pas grand chose des colonies, les seules images qu'elle leur connaissait était des dessins publicitaire pour les produits extraits des plantations, représentant des esclaves qui semblaient heureux de l'être. Malgré tout, Ulysse avait mentionné les colonies comme il aurait mentionné l'enfer. Un cri strident l'arracha à ses pensées. Un perroquet était entré dans la pièce se cognant aux murs pendant son vol, laissant tomber sur son sillage de nombreuses plumes multicolores qui retombait sur le plancher, s'accrochant à la fresque de son bec, puis au canapé, et sans discontinuer de battre bruyamment de ses ailes, continuant tant bien que mal son vol chaotique. Gwendoline mit ses bras devant son visage quand le fauteur de troubles manqua de s'agripper à elle. Mal coiffée et le corset de travers, Rocky finit par entrer précipitamment à son tour.

« Pépé, ici! Vient voir maman Rocky! Alleez!

Sans l'écouter, le volatile continua de tournoyer dans toute la pièce, poursuivi par la jeune femme qui grimpait sur les meubles pour tenter de l'attraper, ce fut finalement quand il descendit entre deux croassement strident sur la table, pour s'emparer d'une tranche de pain laissée négligemment sur la table qu'Ulysse réussit à l'attraper de justesse, le tenant fermement entre ses bras malgré ses coups de bec et d'ailes. Quand l'animal s'estima enfin vaincu et cessa sa lutte, Rocky le reprit des bras d'Ulysse.

« Bon sang, il a faillit me crever un œil, ton piaf! Tu peux pas le tenir en cage?!

-Mais, je le tenais en cage! Se défendit la jeune femme en serrant son oiseau contre elle. Seulement, j'ai voulu le montrer à Edith pour lui demander si elle avait déjà vu un oiseau comme ça, à Bourbon. Quand j'ai ouvert la cage, j'ai cru qu'il dormait, mais il s'est réveillé d'un coup et on a pas pu le retenir, il s'est enfui par l'aération. Mais je ne l'ai pas fait exprès, je te jure!

-Ouais, ben aussi, si tu t'étais pas autant encombré de bébêtes exotiques, ça te serait pas arrivé!

-« Autant »?! s'offusqua-t-elle, « autant! », mais enfin, c'est ridicule! Je n'ai qu'un saimiri, un perroquet, trois chien, une chatte et sa portée et un koala! Ce n'est pas « autant », ça? Eh, puis, je vais pas garder Pépé (même si j'aimerai bien), je veux le relâcher dans son milieu naturel!

-Tu sais quoi, laisse tomber, soupira Ulysse, mais ne va pas te plaindre si ton pépé se fait broyer par les machines du zeppelin, je t'aurait prévenu. »

D'une moue boudeuse, Rocky tourna les talons et se dirigea vers sa chambre, sans adresser un mot à Edith qui venait d'entrer, perplexe.

« Ah, bah vous l'avez retrouvé, le pépé! S'exlama-t-elle à Ulysse et Gwendoline qui ramassait les plumes, un vrai monstre, ce volatile, comme toute la basse-cour de Rocky, d'ailleurs! L'autre jour, quand elle a insisté pour que je fesse son portrait avec ses chiens, il a fallu quatre heures pour terminer le crayonné juste parce qu'ils ne pouvaient pas se tenir tranquille, ces bestioles n'ont pas le sens de l'art!

-Je ne te le fait pas dire, soupira Ulysse, en ramassant une plume tombée sous le sofa. 

-Enfin, bref! Du moment qu'il n'a rien cassé... »

Gwendoline se redressa après avoir ramassé une douzaine de plumes colorées. Tout, dans ce zeppelin était pour elle le théâtre des curiosités et de la nouveauté, l'objet le plus incroyable d'un point de vue technologique qu'elle n'avait jamais vu avant son voyage était Quignon, bien loin de toute les prouesses qu'elle voyait depuis le zeppelin. Avant, toute sa vie se résumait à une monotonie monstrueuse, ponctuée de bal, de tea party, et tant d'autres choses répétitives qui cachait par ses dentelles la façade rude de la vie de l'est londonien, et le reste du monde, que la fillette n'avait jamais vu et qui était désormais son quotidien, dont elle découvrait une nouvelle facette chaque jour. Autant de contrées que de personnes exceptionnelles, de sa tante à sa marraine, en passant par Conny et le guide égyptien.

-Et c'est pas tout, dit Ulysse, parlant de Rocky à Mara qui était entré depuis peu sans que sa présence ne soit remarqué par la fillette, je te parie que quand on va arriver à Paris, c'est pas une heure qu'elle va passer au bon marché, c'est une semaine! Elle n'a pas apprit à résister à la tentation, comme nous autres!

-Ouais, soupira Mara, c'est ça les gosses de riches... »

À ces mots, Gwendoline fut piquée dans son orgueil, « grosse de riche... »: outre le fait que ces paroles insultait injustement Rocky, elle insultaient Hortense, elle l'insultaient elle, ce que la fillette ne put tolérer sans rien dire.

-C'est faux! Se défendît-elle, on n'est pas tous ainsi, moi par exemple, je ne suis pas comme ça!

-Toi, répondit Mara sans daigner la regarder, on ne te compte pas, gamine. »

«Gamine »?

Gwendoline sentit tous les poils de son corps se dresser d'indignation. Encore, Elle était habituée à ce qu'on la considère comme une « gosse de riche », dés son départ de SalvaRosa, elle savait qu'on la considérait différemment, que ce soit certains enfants du Damas qui ne lui parlaient pas car ils l'enviaient, les gens du personnel qui lui avait adressé des traitements de faveurs, espérant une contrepartie, ou tout autre, et tout cela, elle avait l'habitude, mais en revanche, elle s'était sentie à sa place depuis qu'elle était dans le zeppelin, et voilà, que constamment, on lui rappelait qu'elle n'était pas à sa place, que sa place était dans le jardin d'enfant. Elle ne supporta pas de retrouver l'impitoyable sentiment de discrimination envers les « petits », cette désagréable  impression que chacun lui rappelait constamment, à Londres. De sa grand-mère, très conservatrice, à son frère, de dix ans son aîné. Quand elle était arrivée en Égypte, elle croyait s'en être sorti définitivement, d'avoir franchi le pas, d'être une adulte...

« Gamine », « gamine », était-ce à ça qu'on la résumait malgré tout? 

Bouillonnante de colère, elle voulu répliquer, mais se rendit compte qu'elle n'avait rien à dire. Alors, d'une démarche indignée, elle tourna les talons et quitta la pièce, sous les regards étonnés de Mara et Ulysse.

« Je...Crois que tu l'a vexé, Mara. Dit Ulysse en se  dirigeant vers la sortie de la pièce.

-Oh, laisse-la chouiner, répondit Mara de son ton nonchalant habituel. Si on continuait à lui passer tous ses caprices, ça nous ferait une traversée infernale, crois-moi. »

Sur ce, ils reprirent leur conversation comme si de rien n'était tandis que Gwendoline entrait dans sa chambre en claquant la porte. Le fait qu'elle avait été assignée à la chambre d'enfant ravivait sa colère. 

Elle se laissa tomber sur le lit, bouillonnante de rage, son esprit ressassant en boucle les nombreuses fois on l'avait relégué au rang de gamine. Si elle avait été une enfant du peuple, elle se serait mise à renverser les meubles en criant, mais malgré son caractère têtue, Gwendoline avait eu une éducation bien trop stricte pour s'abandonner à sa colère. Vociférant intérieurement des dizaines d'insultes envers Mara et tous les autres, elle passa une vingtaine de minutes à se calmer.

Après avoir enfin retrouvé totalement sa sérénité, la fillette s'endormit, une pointe de rancoeur encore présente en elle.

Un sommeil lourd de plusieurs s'ensuivit.


***

« TITIIIIIIITITITITITIIIIIIIIIIIIIIIIIIIITITIIIIIIIIIIIIIIIII!!!!!« 

Gwendoline s'éveilla en sursaut au son le plus strident qu'elle n'ai jamais entendu. Tirée instantanément de son sommeil par le bruit, elle colla ses mains à ses oreilles le temps qu'elle ne réalise la situation.

Une alarme retentissait.



La lignée des archéologuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant